« Aujourd’hui, les ingrédients sont réunis pour que les propriétés collectives reprennent vie », estime Jean-François Joye qui co-dirige, avec le sociologue Olivier Chanavon, une nouvelle chaire scientifique consacrée au sujet au sein de la Fondation USMB.
Comment définiriez-vous aujourd’hui les communs fonciers, ce système millénaire qui, jusqu’à la fin du Moyen-Âge, privilégiait l’organisation des usages du sol à la notion de propriété et qui, contre toute attente, existe toujours en France ?
Même si ces communs ont été souvent démantelés et partagés après la Révolution Française, l’étude que nous menons depuis 2018 montre que ce système perdure bel et bien aujourd’hui sous différentes dénominations (bourgoisies, sections de commune, consortages…).
J’ai même été surpris qu’il y en ait autant en France comme ailleurs en Europe. Des milliers. Rien que les sections de commune sont entre 30 000 et 40 000 en France, en particulier dans le Massif Central.
Mais on en compte aussi quelque 400 de différentes catégories dans chaque département savoyard, sur les anciennes terres de seigneurs ou de congrégations religieuses, autour de l’abbaye de Tamié par exemple.
Jean-François Joye
Professeur de droit public, Centre de recherche en droit Antoine Favre – Université Savoie Mont Blanc (USMB).
Vice-Président de l’USMB.
Ce sont des modèles équilibrés d’usage du foncier permettant d’améliorer le vivre ensemble. C’est une ressource mise en partage dont la gestion dépend d’une communauté composée d’ayants droit (héritiers, résidents du lieu…) qui en définit les règles et en répartit les utilités. Les fonctions sont variées (entretien du paysage, des forêts, préservation de la biodiversité, régulation de la faune…).Le propriétaire du sol, c’est la communauté tout entière ou une personne morale animée par la communauté dont les membres disposent de droits d’usage. Ils sont aussi une multitude de bénévoles, en charge d’entretenir le commun dans la durée.
Pourquoi étudier ce sujet ?
Nous avons lancé une étude avec l’intuition que ces vénérables institutions ancestrales n’étaient pas des fossiles, ni une histoire finie. À l’heure où notre société doit faire face à des défis redoutables, climatiques notamment, cette résurgence n’est pas anodine. Le changement de perception est palpable. C’est un véritable outil pour coexister plus intelligemment sur nos territoires et nous aurions tort de vouloir le supprimer.
En quoi ces communs fonciers peuvent-ils s’inscrire dans le présent ?
Nous devons (ré)inventer des outils pour mieux prendre soin de nos territoires ; nous entendre pour préserver ces communs fonciers et proposer leur re(naissance) politique et juridique pour les générations présentes et futures. Ces systèmes ont été un temps la base de la matrice foncière et sociale. Ce sont les premiers réseaux sociaux. Ils peuvent redevenir un outil d’amélioration du cadre de vie. L’affouage (coupes de bois pour les besoins domestiques) redevient par ailleurs intéressant à pratiquer dans le contexte actuel, l’irrigation, le pastoralisme le sont aussi. Certaines propriétés collectives se sont également tournées vers le tourisme doux ou vers la mise en place de chaufferies collectives alimentées par le bois prélevé sur le secteur ce qui est prometteur.
Il y a aussi un côté festif et récréatif autour des communs. C’est un outil fondamental de cohésion sociale et je suis convaincu de son avenir. L’administration n’a pas les moyens d’intervenir partout et la propriété individuelle classique ne peut pas forcément remplir toutes les fonctions utiles aux habitants. Aujourd’hui, les ingrédients sont réunis pour que les communs reprennent vie.
Comment ?
Il faudrait déjà que la République protège et conforte ceux en place et promeuve des partenariats avec l’administration. On peut aussi réactiver les communs “endormis”, voire en créer de nouveaux avec, par exemple, des propriétaires privés qui concèderaient des droits d’usage collectifs. Il faut reconnaître ces communs fonciers comme de vrais acteurs du territoire, réinventer un modèle oublié de cogestion de l’espace.
Vous avez également lancé, le 24 octobre 2023, la chaire scientifique Valcom, “Valoriser les communs fonciers”. Quel est son rôle ?
C’est une chaire pluridisciplinaire partenariale co-dirigée par Olivier Chanavon, sociologue, et moi-même. Elle est soutenue en premier lieu par la Fondation de l’USMB, qui croit en ce projet depuis le début, mais aussi désormais par des partenaires multiples qu’ils soient financiers (la Fondation de France, la Direction régionale des affaires culturelles, le Centre Favre, le Labex ITTEM (Innovations et transitions territoriales en montagne) ou techniques (le CAUE de Haute-Savoie, par exemple).
Nous allons pouvoir travailler sur le temps long l’idée de repenser le territoire et la cohésion sociale avec cet outil et les valeurs qu’il véhicule, lesquelles sont également inspirantes pour le monde de l’entreprise. Pour cela, nous associons largement les habitants et habitantes afin de nourrir la réflexion, permettre le croisement des savoirs et des expériences sur la base de ce que l’on nomme les “sciences participatives”.
Nous souhaitons aussi développer des outils d’évaluation, former, sensibiliser, accompagner, faire évoluer le cadre légal… Nous avons notamment prévu, dès 2024, des ateliers sur le terrain avec des habitants, des élus, des dirigeants pour donner envie d’agir. Le sujet (re)commence à intéresser beaucoup de monde, y compris en hauts lieux (je suis intervenu en décembre à l’Assemblée Nationale) et la jeune génération y est particulièrement sensible.