Propos de chercheurs

Durant cette période de crise, source de nombreux questionnements et remises en cause, la Fondation Université Savoie Mont Blanc donne la parole aux chercheurs dans le cadre de sa chronique “Soigner les maux avec des mots”.  

Aujourd’hui, Christophe Ménézo, vice-président en charge du Patrimoine et de la Transition énergétique à l’USMB, enseignant à Polytech Annecy-Chambéry, chercheur au LOCIE et au sein de la Chaire d’Innovations Transfrontalières sur l’Efficacité Energétique-CITEE1 revient sur la crise du Covid-19 : va-t-elle bousculer notre manière de penser la ville et son organisation ? Entretien.

LE METABOLISME URBAIN TOUT D’ABORD, C’EST QUOI ?

Le métabolisme urbain représente un domaine d’étude relativement nouveau et prometteur pour les recherches menées sur les villes et leur “développement durable”.  

C’est un concept dans lequel la ville est analysée en utilisant les notions se référant aux processus internes par lesquels les organismes vivants maintiennent un échange ou flux continu de matière et d’énergie avec leur environnement pour permettre leur fonctionnement, leur croissance, leur adaptation aux contraintes extérieures et leur reproduction.  

Cette vision s’en trouve renforcée par les recherches croissantes suivant des approches “bio-inspirées”.  Celles-ci tendent en effet à s’inspirer des organismes vivants qui maintiennent un échange continu avec leur environnement pour fonctionner, grandir, se reproduire et qui savent faire preuve d’innovation permanente, notamment les plus petits, pour s’adapter aux contraintes auxquelles ils doivent faire face.  En termes de recours aux matériaux multifonctionnels et d’habitat par exemple, les insectes notamment font référence. En témoignent les termites, les fourmis ou les abeilles. 

Concernant la ville ou l’espace urbain, la démarche proposée peut être utilisée pour favoriser la disponibilité naturelle et anthropique des ressources et leur utilisation pour gérer les rejets (déchets, eaux usées, pollution…), l’aménagement et les constructions afin de préserver l’environnement actuel ou futur. L’approche visant à considérer le métabolisme urbain est forcément pluridisciplinaire et s’oriente vers une combinaison de sciences pour l’ingénieur, science naturelles et sociales (philosophie…).  

EN QUOI LA PERIODE DE CRISE QUE NOUS TRAVERSONS PEUT AVOIR UN IMPACT SUR CE METABOLISME URBAIN ?

Les systèmes naturels s’organisent de façon à optimiser robustesse et efficacité. Cette connaissance semble essentielle pour orchestrer au mieux, ou orienter vers la meilleure organisation possible à l’échelle globale, nos villes, nos territoires, notre société… 

Mais cette adaptation des espèces, qui s’est étalée sur des millénaires, s’effectue sous la contrainte comme celle engendrée par les dérèglements climatiques. Cependant le monde du vivant expérimente par itération dans un mode essais, échecs ou succès sur des périodes temporelles relativement importantes. Certaines espèces disparaissent faute de ne pouvoir s’adapter, évoluer à temps.  

Nous, humains, nous avons la capacité de tirer parti de ce retour d’expérience apporté par le monde du vivant. Nous avons aussi la capacité d’accélérer l’analyse et l’adoption de mesures permettant de favoriser la prise de conscience qui était émergente et convergeait vers la nécessité de changer de modèle. 

On voit par exemple les limites d’une gestion centralisée de la crise au niveau national. Un organisme vivant s’adapte à son environnement, à l’écosystème dans lequel il évolue. Un organisme ou un ensemble d’organismes – tels que les insectes – est capable de faire converger une certaine “intelligence” collective pour la vie, sa capacité de résilience conditionnant la survie de la collectivité soumise aux contraintes externes.   

La pandémie actuelle doit nous pousser à adopter une telle approche et à aller vers une échelle plus locale. 

COMMENT ?

Cette période de confinement que nous venons de vivre doit être mise à profit pour adopter un regard nouveau. Chacun a pu notamment prendre conscience de l’épanouissement et de la “reconquête” de la nature jusqu’à nos espaces urbanisés. Elle a permis de faire émerger des questions fondamentales sur l’organisation de nos sociétés… 

Concernant la ville, elle a permis de révéler les problématiques, contraintes et dépendances intrinsèques aux espaces urbains. En termes de mobilité par pas forcément la meilleure réponse aujourd’hui où l’on s’oriente plutôt vers la promotion de la mobilité douce comme le vélo.  

On a souvent tendance à voir les choses sous un seul angle or il est nécessaire de bien prendre l’ensemble du problème dans sa complexité, d’avoir une vision systémique et d’avoir bien conscience des équilibres et des déséquilibres qui peuvent être engendrés par notre activité. 

qu’est-ce qui peut en resulter a terme ?

La ville peut être optimisée en s’inspirant du monde vivant. Il nous faut trouver des solutions, en nous appuyant plus largement sur l’expérimentation de ce dernier. L’efficacité des cascades énergétiques concernant les bâtiments, l’industrie mais aussi la mobilité, la minimisation des rejets non valorisables ou, d’une manière plus générale, la minimisation de l’empreinte environnementale sont des facteurs indispensables à la survie de chaque organisme.  

Abordé sous cet angle, le métabolisme urbain doit permettre de concevoir des politiques urbaines efficaces. Cela doit s’appuyer sur des paramètres pertinents qui satisfont aux critères des indicateurs de durabilité scientifiquement établis. Ces indicateurs doivent aussi être pertinents pour les urbanistes et les résidents, et fondés sur des données claires et compréhensibles par tous les acteurs du monde urbain y compris le citoyen.   

CETTE CRISE DU COVID-19 VA-T-ELLE, PEUT-ELLE, IMPULSER LA CREATION DE NOUVELLES FORMES DE GESTION ECOLOGIQU EN S’APPUYANT DU COUP SUR LE VIVANT ?

Si nous nous positionnons à l’échelle de la ville et que nous la regardons par le prisme du monde du vivant, nous pouvons envisager de la définir à l’image d’un mammifère qui intègre de manière centralisée toutes les fonctionnalités spécifiques – génération d’énergie (digestion), centrales de traitement d’eau (reins), déchetterie (rejets)…- comme c’est le cas actuellement. Le voies d’amélioration de l’efficacité sont nombreuses au sein de ce chaînage. 

Nous pouvons aussi la considérer comme un tissu cellulaire où chaque cellule, c’est-à-dire chaque quartier, dispose à son échelle de toutes les fonctionnalités et agit de manière autonome. Cet autre modèle d’urbanisation et d’organisation spatiale avec ses magasins, ses bureaux, ses logements, sa production locale de ressources et de valorisation des rejets, pourrait pallier les problèmes de mobilité, de pollution induite, favoriser les circuits courts…

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