aude pommeret
Docteur en économie, avec un intérêt particulièrement marqué pour l’économie de l’environnement.
Professeur à l’université Savoie Mont Blanc depuis 2006, détachée de 2015 à 2017 à la School of Energy and Environment (City University of Honk Kong), elle dirige actuellement le European Master in Business Studies à l’IAE Savoie Mont Blanc.
Elle est également expert scientifique pour France Stratégie, l’organisme d’études et de prospectives, d’évaluation des politiques publiques et de propositions, placé auprès du Premier ministre. Après avoir fait partie de la Commission Quinet, sur la valeur de l’action pour le climat, elle a intégré la Commission dédiée au coûts d’abattement des émissions de gaz à effet de serre, lancée en 2019 et présidée par l’économiste Patrick Criqui.
Émettre du carbone a un coût et il faudrait une taxe au moins deux fois plus élevée qu’elle ne l’est actuellement, ainsi que des investissements et mesures d’accompagnement, pour accélérer les choses, estime le Professeur Aude Pommeret qui préconise d’agir dès à présent plutôt que d’avoir à s’ajuster dans la précipitation en 2050.
Dans la lignée des engagements pris par la France lors de la signature de l’accord de Paris, le plan Climat de juillet 2017 a fixé l’objectif d’atteindre zéro émission nette de carbone à horizon 2050.
Où EN EST-ON QUATRE ANS PLUS TARD ?
Ça bouge un peu partout, mais ce sont de petites actions qui ne sont ni coordonnées ni suffisantes.
Atteindre zéro émission nette[1] à l’horizon 2050 implique d’entreprendre une démarche pour le futur. Les efforts sont à fournir pour nos descendants et cela semble loin à la plupart des gens. D’ailleurs, même si les émissions ont été partiellement réduites pendant les confinements, elles ont repris ensuite.
VOUS AVEZ FAIT PARTIE DE LA COMMISSION QUINET, MISE EN PLACE PAR LE PREMIER MINISTRE POUR DETERMINER LA VALEUR TUTELAIRE DU CARBONE. C’EST-A-DIRE ?
La valeur tutélaire du carbone, c’est la mesure de l’ampleur de l’effort à fournir pour limiter son empreinte. Autrement dit, il s’agit du coût engendré par la décarbonation nécessaire pour atteindre le zéro émission nette en 2050. L’effort peut prendre la forme de divers instruments de politique économique tels qu’une taxe, des subventions ou des normes. Ces dernières sont, en général, les plus coûteuses pour la société même s’il s’agit de coûts plus indirects que ceux d’une taxe, donc moins immédiatement ressentis.
La taxe carbone (appelée Contribution Climat Énergie ou CCE) s’élève à ce jour à 44,6 euros la tonne de CO2. Son montant est figé depuis 2018 et le mouvement des gilets jaunes qui a bloqué sa progression alors prévue à 55€/tCO2. Quant à son champ d’application, il est à accroître car, par exemple, 15 % des émissions du secteur de l’énergie ne sont soumises ni la CCE ni au marché européen de quotas.
La Commission Quinet a préconisé une valeur du carbone à 250 euros/tonne de CO2 en 2030, intégrant la taxe proprement dite ou d’autres instruments.
EST-CE LA SOLUTION POUR FAIRE AVANCER PLUS VITE LES CHOSES ET FREINER LE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE ?
Aujourd’hui, il faut aller sur tous les fronts. Émettre du carbone a un coût -comme l’utilisation du travail et du capital- que personne ne paie spontanément car il est externe, ce qui explique pourquoi il y a trop d’émissions par rapport à ce qui serait optimal. Il faudrait une taxe au moins deux fois plus élevée qu’elle ne l’est actuellement ainsi que des investissements d’accompagnement et d’autres mesures pour accélérer les choses et freiner le réchauffement. La vraie valeur sur le carbone, si elle est imparfaitement connue, fait l‘objet d’un consensus de la communauté scientifique autour de son ordre de grandeur (au moins 100€/tCO2), mais il n’est pas simple de l’imposer. Elle peut être mise en œuvre par le biais de différents instruments qui s’additionnent en quelque sorte. Il faut donc que taxes, subventions, permis et régulations représentent ensemble une réelle contrainte correspondant à cette valeur. Dans le cas fictif où toute émission de carbone serait taxée à un taux égal à la valeur du carbone, cela suffirait à éliminer le problème des émissions quelle que soit l’utilisation faite du produit de la taxe. Dès lors, ce montant doit être versé là où c’est le plus profitable pour le pays sans négliger la redistribution envers les plus modestes qui seront les plus affectés par la politique environnementale.
comment agir dès à present ?
Le rapport de la Commission Quinet constatait la nécessité « de poser un cadre méthodologique clair et partagé pour pouvoir évaluer le coût d’abattement socio-économique des différentes actions ». D’où la création, il y a deux ans, d’une Commission sur le sujet.
Disposer de valeurs de référence de ces coûts pour les différentes options de décarbonation est essentiel pour guider les politiques tendant vers l’objectif de neutralité carbone. Nous avons d’ores et déjà publié la partie méthodologique qui explicite le concept et les méthodes de calcul.
La partie consacrée aux transports est également en ligne.
Elle préconise notamment de décarboner les vecteurs énergétiques utilisés, notamment en remplaçant les véhicules conventionnels par des véhicules à faibles ou très faibles émissions.
Nous poursuivons actuellement nos travaux sur d’autres activités comme le bâtiment, l’électricité, le transport, l’hydrogène, l’agriculture…
La production d’électricité est d’ores et déjà décarbonée à plus de 90 % grâce essentiellement au nucléaire. Pour arriver à zéro émission dans ce secteur (voire à des émissions négatives), ce qui est tout à fait faisable, et souhaitable puisque le coût d’abattement est largement supérieur à la valeur du carbone à l’horizon 2050, il faut promouvoir les moyens de production d’électricité renouvelable, solaire et éolien, mettre en place des solutions de stockage pour les surplus produits afin qu’ils soient réutilisés lorsqu’il n’y a ni vent ni soleil. Le coût de production de ces énergies a beaucoup baissé et va continuer de diminuer au fur et à mesure de leur développement ce qui explique que décarboner le mix actuel en remplaçant les énergies fossiles par des renouvelables aurait en fait un coût d’abattement négatif à l’horizon 2050 !
Il faut parallèlement intensifier l’électrification des usages, et pour cela aussi, il faut une vraie politique publique à la hauteur des ambitions pour le déploiement de bornes de rechargement sur le territoire par exemple.
La France a tout intérêt à agir dès à présent plutôt que dans l’urgence. Nous savons tous désormais que, de toute façon, nous aurons à agir. Il faut se donner dès maintenant les moyens d’intensifier la recherche et les développements technologiques. Les innovations qui en résulteront seront bénéfiques pour nous, mais aussi pour les pays en voie de développement qui n’en ont pas les moyens. La question du changement climatique est globale et nous devons aller vers une forme de mondialisation vertueuse en ce domaine. Il faut montrer l’exemple et il vaut mieux partir tôt, pour avoir un avantage comparatif et ne pas avoir à s’ajuster dans la précipitation en 2050.
[1] Les puits de carbone peuvent absorber une certaine quantité d’émissions de CO2. Pour que le stock de CO2 n’augmente pas il suffit d’avoir zéro émission nette de cette absorption.