Propos de chercheurs 2021

En 2021, la Fondation USMB donne à nouveau la parole aux chercheurs de l’Université Savoie Mont Blanc dans le cadre de sa chronique « propos de chercheurs ». Elle souhaite par ce biais, apporter un éclairage sur les questions et enjeux d’un avenir plus durable et responsable. 

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MONTAGNE : « LE TEMPS EST VENU D’ABORDER LES PROBLÉMATIQUES DE MANIERE HOLISTIQUE

Alors qu’il prend la direction scientifique de la chaire MIRE (Montagne,
Infrastructure, Risque, Environnement), portée par la Fondation USMB
et qui pourrait être lancée courant 2022, François Nicot, spécialiste des
risques naturels sous l’aspect mécanique, estime stratégique de positionner
ce programme scientifique d’excellence plus généralement sur
l’évolution du milieu. Et ce pour accompagner au mieux la montagne de
demain, dans un contexte de changements climatique et sociétal.

Enseignant-chercheur
Laboratoire EDYTEM (Environnements
DYnamiques et TErritoires
de la Montagne)
UFR Sciences et Montagne
USMB
Directeur de recherche depuis
2009 – Inrae, Institut national
de recherche pour l’agriculture,
l’alimentation et l’environnement

Votre cœur de métier, ce sont les risques naturels sous l’aspect
mécanique. Qu’est-ce qui vous a emmené à vous intéresser à ce
sujet et à réaliser notamment votre thèse sur le risque rocheux ?


Je suis accompagnateur en montagne et traileur, c’est un milieu que je connais bien. Issu de l’École Centrale de Lyon notamment, j’ai consacré ma thèse aux risques rocheux en montagne, sans affiliation
avec un territoire en particulier. C’est un axe intéressant qui me permettait de conjuguer mes recherches et ma passion. Quand j’ai débuté mes travaux, je me suis rendu compte que la communauté était parfois éloignée des avancées scientifiques. Ce constat m’a conduit à travailler de plus en plus en amont. J’ai développé des approches multi-échelles en essayant d’aller comprendre les mécanismes à l’échelle des grains, au niveau du squelette du sol, pour en extraire des modèles de comportement utilisables à l’échelle de la pente. Cela m’a permis d’introduire des méthodes numériques nouvelles et performantes applicables aux risques naturels d’origine granitaire ; un outil de prédiction plus puissant qui permet de décrire et de prédire la survenue de ruptures. Concrètement, il peut, par exemple, permettre de dimensionner de manière plus pertinente les ouvrages de protection.

Un sujet particulièrement prégnant à l’heure du changement climatique. Cette trajectoire dans l’analyse du risque rocheux a d’ailleurs notamment trouvé son application dans un projet national baptisé C2ROP, Chutes de blocs, Risques rocheux et Ouvrages de protection, dont vous êtes partie prenante…


Il est très raisonnable de penser que le changement climatique agit sur la stabilité des versants avec des précipitations plus fortes sur des temps plus courts, la remontée de la limite pluie-neige au cours des dernières décennies, des natures de neiges différentes, la fonte du permafrost, etc. Les problèmes gravitaires sont plus présents (glissements de terrain, coulées de boues, chute de blocs) plus complexes, plus globaux aussi. Ce projet national, construit à partir de 2011, réunit sur l’ensemble du territoire national la plupart des partenaires engagés dans la gestion du risque rocheux, des centres de recherche, des bureaux d’étude, des collectivités, des maîtres d’ouvrage, etc. C2ROP a pour objectif de construire une chaine d’outils coordonnés (aléas-risque-parade), de structurer et d’animer la communauté. C’est un réseau qui assure un lien entre les travaux des chercheurs et les besoins des maîtres d’ouvrage et industriels. Il est toujours en cours, et devrait être prolongé jusqu’à au moins 2025.


Vous assurez la direction scientifique de la chaire MIRE (Montagne, Infrastructure, Risque, Environnement), portée par la Fondation USMB et dont le lancement est prévu en septembre 2022. Qu’est-ce qui va singulariser ce programme scientifique d’excellence ?


C’est une chaire qui intègre certes les risques naturels, mais qui se propose de traiter plus largement de l’évolution du milieu montagne par rapport aux changements climatiques. On perçoit l’espace montagne comme une pyramide composée de plusieurs versants en interaction les uns avec les autres : il y a les risques naturels gravitaires, mais aussi la question des ressources, qu’elles soient matérielles (comme l’eau), énergétiques (barrages) ou de pratiques (activités à vocation ludique, sportive, ou sanitaire) ; on parle aussi des usages touristiques avec de nouvelles pratiques qui voient le jour, d’autres qui sont en déclin. À cela s’ajoutent les questions propres à la mobilité, mais aussi celles liées au maintien ou à la mutation des secteurs économiques existants, car sans activités économiques la notion même de milieu au sens large disparaît. Tous ces sujets sont prégnants et nécessitent un savant compromis qu’on devra retrouver dans la manière de construire la trajectoire
de l’espace montagne des prochaines décennies. Le temps est venu d’aborder les problématiques de manière holistique, au travers de multiples questionnements.
Nous sommes en train de bâtir le projet avec Cécile Déchand, directrice de la Fondation USMB. Nous souhaitons construire le programme scientifique d’ici le mois de mars, en intégrant la participation de plusieurs laboratoires.
La chaire prendra par ailleurs appui sur trois sites pilotes des Alpes du Nord : l’espace valléen de Chamonix Mont Blanc, le massif des Aravis avec le Grand-Bornand et enfin le massif du Beaufortain.
L’objectif est d’établir des diagnostics, de développer des outils puis de construire des modèles donnant des trajectoires supportables d’évolution pour l’espace montagne à l’horizon 2050.

 

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LE VASTE CHAMP DES POSSIBLES DES ONDES TERAHERTZ

Depuis une vingtaine d’années, les chercheurs démontrent le fort potentiel de l’onde électromagnétique térahertz (THz), qui permet de sonder de manière non destructive la matière. « Aujourd’hui, nous sommes à une période charnière. Il faut arriver à démocratiser l’usage du THz et à trouver des équipementiers à même de fabriquer les lecteurs », relève Maxime Bernier, convaincu que le THz constitue une solution technologique pour adresser les problématiques de nombreux secteurs d’activités comme la sécurité, l’industrie, l’imagerie médicale, et bien d’autres.  

Maxime BERNIER

Enseignant-chercheur à l’USMB. Enseignant à l’IUT de Chambéry. Chercheur à l’IMEP-LaHC (Institut de microélectronique et photonique- Laboratoire d’hyperfréquence et caractérisation).  Travaille dans le domaine des ondes térahertz depuis 2009.

 

Un mot d’explication tout d’abord. Le térahertz (THz), c’est quoi ?

Ce sont des ondes électromagnétiques qui se situent, si je simplifie, entre les deux plages spectrales des ondes infrarouges et des micro-ondes. Le Hertz étant l’unité utilisée pour décrire la fréquence d’un signal périodique, c’est-à-dire le nombre de cycle de cette onde par seconde, on parle ici d’une onde qui oscille mille milliards de fois par seconde. 

Jusque dans les années 80, ces ondes étaient connues, mais réservées au domaine de la recherche, car il n’existait aucune source ni détecteur efficaces ou encore “simples” à mettre en œuvre. L’aventure expérimentale est donc récente, et coïncide avec l’émergence de lasers impulsionnels commerciaux qui ont permis, dans les années 80, de mettre au point de nouvelles technologies optoélectroniques qui ont depuis révolutionné le THz en rendant accessible ce domaine de fréquence.

Notre laboratoire (IMEP-LaHC) a été pionnier en France dans le domaine de l’optoélectronique THz puisqu’il a développé, dès 1994, un axe scientifique de recherche spécifique et a ainsi fait partie des premiers laboratoires au monde à disposer d’un banc de spectroscopie THz dans le domaine temporel. L’IMEP-LaHC a rapidement acquis une renommée internationale notamment pour ces travaux relatifs à la caractérisation de matériaux et de dispositifs dans ce domaine de fréquences. 

À quoi peut-il servir ?

Les ondes THz permettent de sonder la matière sur des profondeurs de plusieurs millimètres à plusieurs centimètres sans présenter les inconvénients des rayons X en termes de santé humaine. Plus précisément, elles traversent les matériaux diélectriques comme les plastiques, les matériaux secs, et sont réfléchies par les objets métalliques. Elles peuvent, par exemple, être utilisées pour détecter la présence d’explosifs, de drogues ou d’armes métalliques et céramiques cachées sous des vêtements. Les premières applications ont d’ailleurs été développées au début des années 2000 dans le domaine de la sécurité. Aujourd’hui, plusieurs aéroports (Munich, Amsterdam…) sont équipés de portiques THz en complément des autres systèmes de détection déjà opérationnels. Le THz est à même de déceler des substances illicites comme des explosifs ou drogues dissimulées dans des enveloppes en papier, par exemple. Le potentiel de ses ondes a aussi été démontré dans le domaine médical, plus précisément pour l’identification de mélanomes et autres cancers de la peau grâce à l’imagerie THz

Peut-on imaginer une utilisation dans l’industrie également ?

 

Tout à fait. Le THz peut permettre d’assurer du contrôle non destructif de produits, par exemple sur une chaine de fabrication. Dans l’aéronautique, les matériaux composites (fibre de carbone) peuvent être inspectés afin de détecter sans contact des défauts en profondeur (délamination, fissures…). Il peut aussi permettre de contrôler les caractéristiques d’un film plastique (épaisseur, homogénéité…), l’évolution du taux d’humidité de la pâte à papier au cours du processus de fabrication des feuilles, ou encore, dans le textile, d’identifier la différence entre du coton bio et transgénique. Dans l’alimentaire, il a aussi prouvé son potentiel pour détecter des corps étrangers (dans du chocolat par exemple), ou pour diagnostiquer l’état de fraîcheur d’un produit comme le poisson qui, lorsque son état se détériore, dégage un gaz présentant une signature spécifique dans le domaine THz.

Peut-il faciliter aussi l’identification des produits ?

 

Effectivement. La THID (THz Identification), au même titre que la RFID dans le domaine des radiofréquences, est à même de proposer des solutions d’identification de produits. La THID est une de nos thématiques de recherche et nous avons actuellement plusieurs projets en cours, financés par l’Agence nationale pour la recherche (ANR) et la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Nous travaillons dans le domaine depuis 2008, et avons introduit pour la première fois le terme THID pour “THz Identification” (Identification dans le domaine Térahertz).

Dans le cadre de ces études, nous travaillons sur le développement de solutions d’identification (1 solution = des étiquettes/tags, un système de lecture de la signature THz de ces étiquettes, des logiciels d’analyse de ces signatures) applicables à plusieurs types de produits pour identifier une contrefaçon ou pour authentifier un produit manufacturé par exemple. Plus précisément, nous cherchons à fabriquer des étiquettes dépourvues de partie métalliques, et donc “invisibles”, contrairement aux puces couramment utilisées en RFID.

Nous collaborons entre autres avec le Centre Technique du Papier de Grenoble sur le développement d’étiquettes (tag) fabriquées à base de papier, matériau biosourcé et recyclable par excellence.

Le champ des possibles semble immense. Qu’est-ce qui freine le développement de l’utilisation du THz aujourd’hui ?

Nous, chercheurs, avons pu démontrer que le THz présente des atouts potentiels qui pourraient le rendre très utile dans de nombreux domaines applicatifs (sécurité, biologie, pharmacologie, contrôle non-destructif…). Nous sommes à une période charnière où, pour démocratiser son usage, il faut que le monde industriel et celui de la recherche s’associent afin d’accélérer la conception et la fabrication de systèmes THz de type “lecteurs”, adaptés aux applications ciblées.  Les systèmes actuels, bien qu’ayant déjà beaucoup évolués, restent, pour certaines applications, encore trop volumineux et trop chers.

Dans ce but, notre laboratoire collabore par exemple avec TiHive, une start-up de la région grenobloise qui travaille à la mise au point de caméras THz miniatures. Un tel système pourrait être déployé sur l’ensemble d’une chaîne de production pour identifier, à l’échelle submillimétrique et en temps réel, les défauts éventuels d’une pièce.

Il manque encore quelques années de développement, mais je suis sûr que le THz va finir par sortir des laboratoires pour adresser un grand nombre d’applications de notre quotidien présent et futur.

 

 

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Neutralité Carbone en 2050 :
« Il faudrait une taxation plus élevée »

Émettre du carbone a un coût et il faudrait une taxe au moins deux fois plus élevée qu’elle ne l’est actuellement, ainsi que des investissements et mesures d’accompagnement, pour accélérer les choses, estime le Professeur Aude Pommeret qui préconise d’agir dès à présent plutôt que d’avoir à s’ajuster dans la précipitation en 2050.


Aude POMMERET

Docteur en économie, avec un intérêt particulièrement marqué
pour l’économie de l’environnement. Professeur à l’Université Savoie Mont Blanc depuis 2006, détachée de 2015 à 2017 à la School of Energy and Environment (City University of Honk Kong), elle dirige actuellement le European Master in Business Studies à l’IAE Savoie Mont Blanc.
Elle est également expert scientifique pour France Stratégie, l’organisme d’études et de prospectives, d’évaluation
des politiques publiques et de propositions, placé auprès du Premier ministre. Après avoir fait partie de la Commission Quinet, sur la valeur de l’action pour le climat, elle a intégré la Commission dédiée au coûts d’abattement des émissions de gaz à effet de serre, lancée en 2019 et présidée par l’économiste Patrick Criqui.

 

Dans la lignée des engagements pris par la France lors de la signature de l’accord de Paris, le plan Climat de juillet 2017 a fixé l’objectif d’atteindre zéro émission nette de carbone à horizon 2050. Où en est-on quatre ans plus tard ?

Ça bouge un peu partout, mais ce sont de petites actions qui ne sont ni coordonnées ni suffisantes.
Atteindre zéro émission nette[1] à l’horizon 2050 implique d’entreprendre une démarche pour le futur. Les efforts sont à fournir pour nos descendants et cela semble loin à la plupart des gens. D’ailleurs, même si les émissions ont été partiellement réduites pendant les confinements, elles ont repris ensuite.


[1] Les puits de carbone peuvent absorber une certaine quantité d’émissions de CO2. Pour que le stock de CO2 n’augmente pas il suffit d’avoir zéro émission nette de cette absorption.

Vous avez fait partie de la Commission Quinet, mise en place par le Premier ministre pour déterminer la valeur tutélaire du carbone. C’est-à-dire ?

La valeur tutélaire du carbone, c’est la mesure de l’ampleur de l’effort à fournir pour limiter son empreinte. Autrement dit, il s’agit du coût engendré par la décarbonation nécessaire pour atteindre le zéro émission nette en 2050. L’effort peut prendre la forme de divers instruments de politique économique tels qu’une taxe, des subventions ou des normes. Ces dernières sont, en général, les plus coûteuses pour la société même s’il s’agit de coûts plus indirects que ceux d’une taxe, donc moins immédiatement ressentis.
La taxe carbone (appelée Contribution Climat Énergie ou CCE) s’élève à ce jour à 44,6 euros la tonne de CO2. Son montant est figé depuis 2018 et le mouvement des gilets jaunes qui a bloqué sa progression alors prévue à 55€/tCO2. Quant à son champ d’application, il est à accroître car, par exemple, 15 % des émissions du secteur de l’énergie ne sont soumises ni la CCE ni au marché européen de quotas.

La Commission Quinet a préconisé une valeur du carbone à 250 euros/tonne de CO2 en 2030, intégrant la taxe proprement dite ou d’autres instrumentsEst-ce la solution pour faire avancer plus vite les choses et freiner le réchauffement climatique ?

Aujourd’hui, il faut aller sur tous les fronts. Émettre du carbone a un coût -comme l’utilisation du travail et du capital- que personne ne paie spontanément car il est externe, ce qui explique pourquoi il y a trop d’émissions par rapport à ce qui serait optimal. Il faudrait une taxe au moins deux fois plus élevée qu’elle ne l’est actuellement ainsi que des investissements d’accompagnement et d’autres mesures pour accélérer les choses et freiner le réchauffement. La vraie valeur sur le carbone, si elle est imparfaitement connue, fait l’objet d’un consensus de la communauté scientifique autour de son ordre de grandeur (au moins 100€/tCO2), mais il n’est pas simple de l’imposer. Elle peut être mise en œuvre par le biais de différents instruments qui s’additionnent en quelque sorte. Il faut donc que taxes, subventions, permis et régulations représentent ensemble une réelle contrainte correspondant à cette valeur. Dans le cas fictif où toute émission de carbone serait taxée à un taux égal à la valeur du carbone, cela suffirait à éliminer le problème des émissions quelle que soit l’utilisation faite du produit de la taxe. Dès lors, ce montant doit être versé là où c’est le plus profitable pour le pays sans négliger la redistribution envers les plus modestes qui seront les plus affectés par la politique environnementale.

Comment agir dès à présent ?

Le rapport de la Commission Quinet constatait la nécessité « de poser un cadre méthodologique clair et partagé pour pouvoir évaluer le coût d’abattement socio-économique des différentes actions ». D’où la création, il y a deux ans, d’une Commission sur le sujet.
Disposer de valeurs de référence de ces coûts pour les différentes options de décarbonation est essentiel pour guider les politiques tendant vers l’objectif de neutralité carbone. Nous avons d’ores et déjà publié la partie méthodologique qui explicite le concept et les méthodes de calcul.
La partie consacrée aux transports est également en ligne.  Elle préconise notamment de décarboner les vecteurs énergétiques utilisés, notamment en remplaçant les véhicules conventionnels par des véhicules à faibles ou très faibles émissions.
Nous poursuivons actuellement nos travaux sur d’autres activités comme le bâtiment, l’électricité, le transport, l’hydrogène, l’agriculture…
La production d’électricité est d’ores et déjà décarbonée à plus de 90 % grâce essentiellement au nucléaire. Pour arriver à zéro émission dans ce secteur (voire à des émissions négatives), ce qui est tout à fait faisable, et souhaitable puisque le coût d’abattement est largement supérieur à la valeur du carbone à l’horizon 2050, il faut promouvoir les moyens de production d’électricité renouvelable, solaire et éolien, mettre en place des solutions de stockage pour les surplus produits afin qu’soi ilsent réutilisés lorsqu’il n’y a ni vent ni soleil. Le coût de production de ces énergies a beaucoup baissé et va continuer de diminuer au fur et à mesure de leur développement ce qui explique que décarboner le mix actuel en remplaçant les énergies fossiles par des renouvelables aurait en fait un coût d’abattement négatif à l’horizon 2050 !
Il faut parallèlement intensifier l’électrification des usages, et pour cela aussi, il faut une vraie politique publique à la hauteur des ambitions pour le déploiement de bornes de rechargement sur le territoire par exemple.
La France a tout intérêt à agir dès à présent plutôt que dans l’urgence. Nous savons tous désormais que, de toute façon, nous aurons à agir. Il faut se donner dès maintenant les moyens d’intensifier la recherche et les développements technologiques. Les innovations qui en résulteront seront bénéfiques pour nous, mais aussi pour les pays en voie de développement qui n’en ont pas les moyens. La question du changement climatique est globale et nous devons aller vers une forme de mondialisation vertueuse en ce domaine. Il faut montrer l’exemple et il vaut mieux partir tôt, pour avoir un avantage comparatif et ne pas avoir à s’ajuster dans la précipitation en 2050.

 

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Aujourd’hui, Emmanuel Salim, doctorant au Laboratoire EDYTEM et vice-président du Collectif Perce-Neige* évoque cette drôle de pratique touristique qui se focalise sur les visites de sites en voie de disparition.

Emmanuel SALIM

Doctorant au laboratoire EDYTEM (Environnements, DYnamiques, TErritoires, Montagnes)

 

Jeudi 24 juin 2021

Qu’appelle-t-on tourisme de la dernière chance ?

Le tourisme de la dernière chance est une pratique touristique qui consiste à aller voir des paysages, des écosystèmes, ou tout élément principalement naturel, avant qu’ils ne disparaissent, le plus souvent sous l’effet du changement climatique. Ce terme est apparu en tant que concept il y a une dizaine d’années, notamment dans une étude sur l’impact du tourisme d’observation des ours polaires en Arctique canadien.

Il n’existe pas de liste exhaustive des écosystèmes concernés, mais on peut par exemple citer les grands glaciers alpins, les barrières de corail, les grands singes d’Afrique…

 

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au sujet ?

Mes recherches portent sur l’adaptation au changement climatique et ma thèse, sur le tourisme dans les grands sites glaciaires alpins. Je me concentre sur les effets du changement climatique en territoires de montagne, ses impacts sur les activités touristiques et sur les actions mises en œuvre par les acteurs pour améliorer leur résilience. Dans ce cadre, j’étudie notamment l’apparition du tourisme de la dernière chance autours des glaciers alpins, notamment la Mer de Glace.

 

Qu’est-ce qui caractérise les visiteurs de ces sites ?

Nous avons effectué une enquête au cours de l’été 2019 sur six grands sites glaciaires : le glacier de Bionnassay (Mont Blanc), le glacier Blanc (Écrins), les glaciers du Rhône (Valais) et d’Aletsch (le plus grand des Alpes, Valais), celui de Pasterze (le plus grand d’Autriche) et la Mer de Glace (le plus grand glacier français). L’idée était d’étudier comment le changement climatique impactait les motivations des visiteurs. L’urgence de voir, constater le retrait glaciaire, comprendre ce que le changement climatique veut dire ainsi que la volonté d’en témoigner font partie des nouvelles raisons de ces visites, mais elles ne sont pas les seules. Les touristes viennent aussi pour le paysage, pour le côté pleine nature, ce qui est un classique de ce type de tourisme.

 

Sont-ils pleinement conscients de l’impact du changement climatique ?

Oui, et ce qui est paradoxal, c’est que toutes les enquêtes menées autour du tourisme de la dernière chance montrent que plus les visiteurs de ces sites sont conscients du changement climatique et de leurs impacts sur leur environnement, plus ils sont disposés à parcourir des dizaines de milliers de kilomètres pour voir ces éléments avant leur disparition. Pour autant, une étude récente montre qu’ils restent assez peu conscients des conséquences écologiques de leur trajet pour arriver sur les lieux. Pour aller plus loin, nous avons mené une deuxième enquête durant l’été 2020 pour voir comment le paysage qu’ils découvrent impacte leur perception du changement climatique et influence leur intention d’agir pour l’environnement. Les émotions les plus ressenties sont la tristesse et la colère et plus elles sont ressenties, plus les intentions d’agir sont grandes. Par ailleurs, cette étude montre que plus les visiteurs perçoivent les effets du changement climatique dans le paysage, plus leur intention d’agir est forte.

Nous allons par ailleurs mener une troisième étude cet été pour savoir comment s’effectue le transfert de connaissances alors que les centres d’interprétations glaciaires se multiplient sur site. L’objectif est également de comprendre comment le discours scientifique est intégré par les visiteurs afin que les informations fournies permettent au mieux de décrire les conséquences parfois complexes du changement climatique. Par exemple, les journées sur le terrain ont montré que certains visiteurs se disaient rassurés de savoir qu’il y avait eu d’autres épisodes de variations climatiques par le passé et en déduisaient que finalement, la situation actuelle n’était pas si grave.

 

Quid de l’impact de ces visites sur les sites ?

D’une manière générale, sur un site très fréquenté comme celui de la Mer de Glace (environ un demi-million de visiteurs chaque année), des aménagements ont été mis en place pour permettre de respecter au mieux l’environnement. Mais le réchauffement climatique génère des risques en matière de sécurité. La fonte du permafrost et le retrait glaciaire déstabilisent ainsi les moraines et favorisent les chutes de pierres.

Aujourd’hui, on parle beaucoup d’adaptation du tourisme au changement climatique. Même si les sites évoluent en fonction des fluctuations glaciaires depuis “toujours”, l’occurrence des processus géomorphologiques est désormais plus fréquente et leurs conséquences plus intenses. Des sites alors très fréquentés comme la grande arche de l’Arveyron dans le massif du mont Blanc n’existent plus, des itinéraires comme la traversée Montenvers-Chapeau sont aujourd’hui inaccessibles et la perte d’épaisseur du glacier complique chaque année davantage l’accès à la Mer de Glace.

 

Et pour les sites lointains ?

Le problème est bien sûr différent. Réguler la fréquentation a été nécessaire pour observer les ours polaires par exemple comme les grands singes en Afrique. Paradoxalement, le développement de ce tourisme de la dernière chance peut permettre d’augmenter la conscience environnementale des visiteurs, leur compréhension du changement climatique et leur intention d’agir.  

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Aujourd’hui Christine Piot, chercheuse au laboratoire EDYTEM, spécialiste en chimie environnementale, détaille ce qui singularise la pollution de l’air sur notre territoire alors que démarre un nouveau projet de recherche sur ce thème dans le massif du mont Blanc.

 

Christine Piot est maître de conférences à l’UFR Sciences et Montagne – USMB. Chercheuse au laboratoire EDYTEM (Environnements DYnamiques TErritoires Montagnes) et spécialiste en chimie environnementale. Travaille essentiellement sur les POP, Polluants Organiques Persistants, en milieu de montagne.

Portrait de femmes de science de l’USMB

 
Jeudi 11 juin 2021

Qu’est-ce qui caractérise la pollution de l’air en Savoie Mont Blanc ?

Nous sommes sur un territoire qui se singularise par des épisodes de pollution de l’air aux particules fines en hiver. Les raisons ? La géographie de nos vallées qui impacte la circulation des masses d’air et une météo froide et humide qui favorise la concentration aux particules fines. La vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, également densément peuplée, est principalement concernée et, dans une moindre mesure, celle de la Maurienne.En hiver, la concentration en particules fines est supérieure à celle de Paris dans la vallée de l’Arve.

Quelles sont les causes ?

En hiver, le chauffage au bois est la première source d’émission de particules fines. Et de loin.  Il représente jusqu’à 80 % de ces émissions et ce, depuis que nous étudions cette problématique (fin des années 90).Contrairement à ce que beaucoup pensent, les poids lourds, qui empruntent cet axe pour rejoindre le tunnel du mont Blanc, ne sont donc pas la première cause de cette pollution. On estime qu’ils sont responsables d’environ 15 % des émissions, un pourcentage qui tend à diminuer légèrement en raison de l’évolution du parc routier vers des véhicules moins polluants.En témoigne l’étude que nous avons mené en 1999, lors de la fermeture du tunnel du mont Blanc à la suite du grave incendie. Alors que le trafic était dévié vers le tunnel du Fréjus, nous n’avons pas constaté de baisse notable de la concentration en particules fines dans la vallée de l’Arve. En 2020, pendant le premier confinement, alors que la circulation était pratiquement à l’arrêt, il en a été de même.Quant aux entreprises, les principaux émetteurs ont d’ores et déjà investi sur le traitement des fumées.

Quid de la prise en compte de cette problématique ?

Elle existe depuis une dizaine d’années et j’ai l’impression que les territoires s’emparent de plus en plus de la question. Le plan de protection établi pour la vallée de l’Arve en 2012 incite ainsi, par des aides, au remplacement des chauffages d’appoint au bois et de tous les appareils de chauffage au bois installés avant 2002. Les actions ne se traduisent pas encore vraiment dans les faits, la machine est longue à se mettre en route.D’une manière générale, le point bloquant est d’arriver à convaincre la population à changer de pratique. Pour tenter d’y remédier, nous allons par exemple lancer sur le Grand Chambéry un projet de sciences collaboratives via une campagne de mesures associant 30 résidents. Nous allons leur fournir des capteurs pour qu’ils mesurent eux-mêmes les taux de particules fines.

Vous avez également travaillé avec la Communauté de communes Cœur de Savoie et les professionnels de la viticulture sur la question du brûlage à l’air libre des déchets viticoles sur le territoire Savoie Mont Blanc…

Effectivement. Dans le cadre du projet Vitivalo, et à la suite de l’arrêté préfectoral interdisant la pratique du brûlage à l’air libre des déchets viticoles de 2017, nous avons mesuré l’impact de cette pratique. Nous avons démontré qu’elle était effectivement polluante et nous avons mené un gros travail de sensibilisation. La population viticole s’est vraiment impliquée. Nous avons pu proposer une alternative après avoir mené une expérimentation qui a démontré que ce type de déchets était acceptable en stations de compostage. Depuis, nous avons constaté un vrai changement.

Vous êtes partie prenante du projet Explor’Air qui vient d’être lancé en partenariat avec la Fondation USMB, notamment pour connaître la qualité de l’air actuelle et passée à proximité du mont Blanc et compléter les mesures de polluants atmosphériques. Quel a été l’élément déclencheur de ce programme et son calendrier ?

Nous avons jusqu’alors beaucoup travaillé en vallée et au plus proche de la population. Nous souhaitons aujourd’hui aller plus loin sur la connaissance. Nous allons déployer des mini-stations à partir de cet été pour mesurer la qualité de l’air actuelle en altitude. Et ce pendant deux ans. Le point le plus haut sera sans doute celui de l’Aiguille du Midi. Nous allons par ailleurs prélever des échantillons neige et glace en face nord du mont Blanc du Tacul pour les analyser. Nous devrions avoir des premiers résultats à l’automne 2022, au terme des quatre premières saisons d’étude.

 

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Aujourd’hui, Hervé Boileau, maître de conférence à l’école d’ingénieurs Polytech Annecy-Chambéry, évoque toute l’importance que doit prendre le transfert de matière et d’énergie entre activités industrielles pour entrer dans un cercle plus vertueux. À l’heure où, l’accès aux ressources et à l’énergie risque de devenir de plus en plus complexe et coûteux, la prise de conscience doit s’accélérer.

Hervé Boileau est Maître de conférence à l’école d’ingénieurs Polytech Annecy-Chambéry et chercheur au Laboratoire Optimisation de la Conception et Ingénierie de l’Environnement (LOCIE) de l’Université Savoie Mont Blanc.
 
Mardi 25 mai 2021

Tout d’abord, l’écologie industrielle, c’est quoi ?

L’écologie industrielle consiste à voir l’activité économique comme un écosystème. Chaque contributeur a des besoins et des pistes à proposer pour économiser la ressource.

Ce modèle appliqué à l’économie vient des pays du Nord. De manière opérationnelle, les transferts de matière et d’énergie entre les activités industrielles ont été mis en pratique dans le parc industriel de Kalundborg, ville portuaire du Danemark, il y a déjà une trentaine d’années. L’objectif est double : en amont, économiser de la ressource et, en aval, limiter l’impact sur l’environnement. La chaleur fatale, c’est-à-dire de la chaleur résiduelle issue d’un four par exemple, et non utilisée, peut ainsi être recyclée pour des opérations de séchage. Aujourd’hui, le procédé pourrait même se décliner chez les particuliers.  À l’image d’un panneau publicitaire placé dans son jardin et loué, on propose à la location ses radiateurs équipés de microprocesseurs au service de data centers dont la chaleur fatale chauffe le logement.

 

La pandémie a-t-elle accéléré cet usage ?

La pandémie n’accélère pas forcément l’usage en tant que tel, mais elle fait se poser les bonnes questions quant à la relocalisation de la production par exemple. Par ricochet, on va forcément entrer dans un cercle plus vertueux.

Il en est de même du changement climatique.  A partir du moment où la ressource neuve s’amenuise et/ou coûte trop cher, le système s’inverse et oblige à trouver des solutions alternatives. Aujourd’hui une entreprise qui consomme beaucoup d’eau peut développer un fonctionnement en circuit fermé. On en a peu parlé à l’époque, mais déjà en août 2003, la baisse du niveau de la Loire avait entraîné un ralentissement de la puissance des centrales nucléaires situées le long du fleuve en raison d’un manque d’eau de refroidissement. Et c’est vrai partout et pour tout. Il nous faut adapter la consommation à la disponibilité de la ressource, pas l’inverse.

 

Vos recherches vous ont d’ailleurs conduit à vous pencher plus particulièrement sur le secteur de l’hôtellerie…

Nous travaillons effectivement sur la performance énergétique et environnementale de l’hôtellerie dans le cadre d’un programme européen Interreg franco-suisse. L’objectif est de répondre aux attentes de l’hôtellerie familiale de moyenne montagne. Nous étudions l’aspect énergie certes, mais aussi les comportements de la clientèle.

Le pilotage du projet est multidisciplinaire et décloisonné.  C’est un fonctionnement que nous devrions avoir pour tous les secteurs : il faut comprendre que l’écologie industrielle est systémique et qu’il faut avoir la vision la plus large possible.

 

Qu’en est-il de la prise de conscience ?

Si les industriels agissent plus en réaction qu’en action prospective, les acteurs économiques commencent à venir à l’écologie industrielle, sans forcément s’en rendre compte, par la gestion de leurs zones d’activité. Et ce, en favorisant l’implantation d’activités complémentaires.

Prenons un exemple dans l’actualité : la Chapelle Darblay, près de Rouen : l’usine centenaire de fabrication de papier 100 % recyclé, menacée de fermeture, pourrait fabriquer des cartons d’emballage pour le centre logistique d’Amazon qui doit s’installer à proximité. C’est ça une vision systémique.

 

C’est justement cette vision pluridisciplinaire que va promouvoir le diplôme d’ingénieur spécialité “Écologie Industrielle”, proposé à partir de la rentrée prochaine au Bourget-du-Lac ?

Ce diplôme, validé par la commission des titres d’ingénieurs, est effectivement à la croisée des chemins de plusieurs disciplines. Il intègrera notamment une partie consacrée à la connaissance du territoire, à son fonctionnement, de façon à ce que les étudiants comprennent les interactions, les jeux d’acteurs et qu’ils puissent ainsi avoir une vision globale le jour où ils seront en entreprise. La première promotion accueillera 24 étudiants à partir du 7 septembre. C’est la première et unique formation d’ingénieur en Écologie Industrielle de France, le nom de la spécialité ayant été créé à l’occasion de l’analyse de notre dossier.

Cette thématique fait d’ailleurs écho à la Chaire Économie environnementale.  Lancée il y a un an par l’Agglomération du Grand Annecy et l’Université Savoie Mont Blanc, sous le pilotage de la Fondation de l’Université Savoie Mont Blanc, elle veut développer une voie économique innovante, adaptée aux enjeux du réchauffement climatique comme à la dégradation des écosystèmes. Elle souhaite ainsi inventer de nouveaux modèles économiques et métiers pour les entreprises.

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Alors qu’Arnaud Carré animera le 29 avril, avec sa collègue Sonia Pellissier, un webinaire organisé par la Fondation USMB et Thésame sur le thème “1 an de crise sanitaire et psychologique, que reste-t-il de nos collectifs ?”, ce docteur en psychologie indique que « le pic de la crise de santé mentale arrivera très probablement après la crise biologique de la Covid-19 ».


->Webinnov #6: “ 1 an de crise sanitaire et psychologique, que reste-t-il de nos collectifs ? ” Jeudi 29 avril 2021 – 17h à 18h – en ligne<-


Arnaud Carré, maître de conférences au département de Psychologie, docteur en Psychologie, psychologue spécialisé en psychopathologie et en prévention au Laboratoire Inter-universitaire de Psychologie – Personnalité, Cognition, Changement Social (USMB, Univ. Grenoble Alpes, EA4145) dont il est le directeur adjoint.
 
Jeudi 22 avril 2021

Voici plus d’un an qu’a débuté la crise sanitaire liée à la Covid-19 en France. A-t-elle d’ores et déjà eu un impact au niveau de la santé mentale des individus ?

Nous avons encore du mal pour l’instant à mesurer concrètement et à évaluer la totalité des effets de cette crise.  Dans des pays mieux équipés en termes de veille sanitaire en santé mentale comme l’Australie ou les Etats-Unis, il ressort à court terme des premières études une hausse des épisodes neuropsychiatriques comme les troubles dépressifs, anxieux, les épisodes de stress, les insomnies, les altérations cognitives (attention, mémoire) …

Et en étudiant la manière dont se sont déroulées d’autres pandémies, les données soutiennent l’existence d’une problématique de santé mentale en plus de la problématique liée aux virus. La dimension psychopathologique de la crise se manifeste à distance, en rebond.

Constatez-vous quand même d’ores et déjà des effets ?

Nous distinguons deux niveaux pour ce qui est de l’effet de la crise actuelle sur la santé mentale : l’impact de la peur du Coronavirus (sa contagiosité, sa létalité, son instabilité…) et l’impact de toutes les mesures barrières prises autour pour lutter contre ce virus encore difficile à maîtriser (confinement, chômage partiel…).  C’est quelque chose qui pèse d’ores et déjà beaucoup sur le bien-être et la santé mentale, et qui est majoré par les difficultés économiques et sociales, ou bien encore les activités sportives et culturelles, devenues temporairement inaccessibles.

Une récente série d’études, notamment parues dans la revue The Lancet Psychiatry, rapporte que les troubles dépressifs, anxieux et liés au stress sont plus importants chez les patients qui souffrent de la Covid, et plus encore chez ceux qui cumulent maladie et difficultés socio-économiques. Il s’agit donc d’un véritable enjeu aujourd’hui que de conduire des études épidémiologiques qui modélisent pleinement les facteurs capables d’impacter la santé mentale, dont les aspects socio-économiques. Nous nous engageons dans cette voie au laboratoire.

Par ailleurs, nous constatons aussi des affects négatifs corrélés à la peur du virus et qui semblent toujours bien présents avec de nouveaux facteurs dont il faut tenir compte depuis “la première vague”, comme l’apparition des variants, l’hésitation vaccinale… La vaccination créé l’espoir, mais suscite également des interrogations et inquiétudes. Nous pourrions ici formuler l’hypothèse que cela reflète des inégalités importantes en termes d’éducation, notamment à la santé et à la démarche scientifique.

Cette crise a accéléré la mise en place du télétravail et des relations à distance, mais aussi le repli sur soi, la recherche d’une sécurité à tout prix… Ne perdons-nous pas ainsi en esprit collectif ? 

 Cette crise est également une source de constats de paradoxes.  Pour plusieurs disciplines scientifiques, dont les sciences psychologiques, la pandémie représente un laboratoire à ciel ouvert. Elle donne accès à la complexité de phénomènes individuels et sociaux, tout comme  à ce qui relève de l’adaptation et de la résilience. 

Par exemple, la pandémie a permis de développer, voire de réinventer, des pratiques comme le télétravail dans de nombreux domaines. L’université, qui s’est transformée pour tout ou partie de ses activités en établissement académique distanciel, en est une illustration. La période que nous traversons a ainsi favorisé la découverte de nouveaux outils dans le domaine du numérique, elle a aussi parfois rendu les individus davantage maîtres de la gestion de leur temps et de leurs tâches. Elle semble permettre aussi de mettre en place de nouvelles manières de gérer les groupes ou d’instaurer de la cohésion. Dans les premiers retours d’ordre qualitatif, les collectifs paraissent rester assez soudés malgré la distanciation physique.  Mais il manque à ce jour, des vraies études d’impact sur ces pratiques, et plus spécifiquement sur les impacts en termes de qualité des relations interpersonnelles et leur régulation. A plus long terme, il s’agira aussi de mieux décrire et quantifier les effets des sentiments d’isolement et le repli sur soi.

Vous estimez que « la crise en santé mentale arrivera très probablement après la crise biologique de la Covid-19 ». Comment pourrait-on agir dès à présent pour améliorer la situation ?

L’impact de tout le contexte qui entoure la crise virologique est aujourd’hui considéré comme potentiellement aussi important voire plus important que l’impact du virus lui-même. A ce stade, les estimations formulées indiquent que les perturbations psychologiques pourraient impacter un grand nombre d’individus et ce, sur une durée potentiellement plus longue que ce provoque le virus en tant que tel.

Le rapport à l’incertitude est parfois tel que des personnes qui étaient peu favorables aux mesures barrières instaurées par les autorités gouvernementales en viennent à les plébisciter. Plus nous avançons dans l’expérience de la crise sanitaire, plus nous avons une connaissance de l’efficacité des mesures possibles. Nous avons aussi besoin d’avoir des perspectives, et leur absence participe à un sentiment d’épuisement. Contourner l’évocation des incertitudes et des aspects négatifs peut paraître réconfortant à très court terme, mais pourrait s’avérer néfaste à long terme. Rien de mieux que de dire la vérité sur notre état de fonctionnement, même incertain, ainsi donner une échéance temporelle raisonnable à court terme…

En résumé il est important de donner un cap qui permet à chacun de savoir où l’on va, de réduire ainsi son niveau d’incertitude et de lui permettre de mieux gérer ses pensées et ses émotions. L’inverse peut participer à un climat de désespoir. C’est fondamental chez l’être humain d’être rassuré et de trouver des occasions de ressentir du plaisir dans son existence. Cela passe parfois par la mise en place d’objectifs atteignables (et qui peuvent paraître modestes), dont une satisfaction sera accessible à leur accomplissement.

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Aujourd’hui, Boris Bourgel, Maître de Conférences en sciences de gestion et auteur d’une thèse sur la performance sociétale (économique, sociale et environnementale) des stations de montagne, évoque les impacts à court et à plus long terme d’une saison “blanche” qui vire au noir.

Boris Bourgel

Maître de Conférences en sciences de gestion
Université Savoie Mont Blanc (USMB) /Institut de Recherche En Gestion et en Economie (IREGE).
 
Mardi 9 février 2021

C’est un véritable tsunami qui s’est abattu sur les stations de montagne en 2020, après la fermeture prématurée des domaines skiables en mars, puis la décision de ne pas ouvrir (pour l’instant) les remontées mécaniques sur la saison 2020/2021. Quid de l’impact de cette situation qui dépasse l’imagination

Je vois plusieurs impacts. Le premier est d’ordre économique. La saison 2019/2020 a été amputée de plusieurs semaines de fonctionnement et l’hiver 2020/2021 se déroule sans ski alpin, sans restaurants… Les pertes de recettes touristiques à court-terme sont colossales ; entre 4 et 6 milliards d’euros pour les stations de montagne de Savoie et de Haute-Savoie selon l’Agence Savoie Mont Blanc. Sur les années à venir, il faut s’attendre à d’importantes conséquences sur l’emploi et l’investissement pour l’ensemble de la filière, avec des reports et annulations de projets de développement et, possiblement, des faillites.

Le deuxième concerne la clientèle, ses habitudes et comportements de consommation. Compte tenu des conséquences de la crise sanitaire sur nos vies, il semble raisonnable de penser que certaines tendances de consommation déjà installées vont s’accélérer, telle que la prise en compte croissante de considérations environnementales et sociales dans l’acte d’achat. Il est également probable que de nouvelles préoccupations et de nouveaux comportements apparaissent chez les consommateurs. S’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, un travail d’étude auprès de la clientèle apparait comme indispensable pour préparer l’après-crise.

Le troisième concerne les acteurs du tourisme et leur vision de l’avenir. La fermeture des remontées mécaniques se traduit différemment d’une station à l’autre ; certaines peuvent s’appuyer sur d’autres activités telles que le ski de fond, le ski de randonnées ou la luge alors que d’autres tentent de proposer des offres spéciales télétravail, par exemple. Mais dans l’ensemble, cette situation met en évidence la dépendance du tourisme de montagne au ski et l’incapacité des autres activités à générer autant de recettes et à accueillir autant de touristes, à ce jour. Si la prise de conscience de ce phénomène n’est pas nouvelle, la situation actuelle constitue un électro-choc et installe un sentiment d’urgence dans les stations au sein desquelles l’activité ski est menacée à court/moyen terme par le réchauffement climatique.

Finalement, il semble qu’à la crise sanitaire s’ajoute une sorte de « crise existentielle » pour le tourisme de montagne qui incite à accélérer le mouvement déjà amorcé de diversification de l’offre. Paradoxalement, les conséquences économiques de la crise et des mesures de protection sanitaires risquent fort de limiter les marges de manœuvre et de freiner cette transition vers de nouveaux modèles pour le tourisme de montagne.

Justement, la mise en place de business model durable dans les stations de sports d‘hiver est un de vos axes de recherche…

Mon travail de thèse, débuté en 2014, m’a amené à travailler sur la performance sociétale des stations de montagne (économique, sociale et environnementale) en réponse aux nombreux défis sociétaux auxquels elles sont confrontées (maturité du marché, impacts du réchauffement climatique, etc.). Le travail mené a montré qu’au-delà de la performance, ces défis questionne plus largement leur modèle. Dans le prolongement de ce travail, j’ai décidé de m’intéresser, avec d’autres collègues de l’IREGE, aux Business Models durables du tourisme de montagne.

La mise en œuvre d’un Business Model durable constitue une réponse volontaire et organisée aux défis sociétaux en question. Cette approche soulève des questions clés : quelle création de valeur économique, sociale et environnementale souhaite-t-on ? Pour quelle clientèle et pour quelles parties prenantes ? Quelle est la contribution de chaque acteur à cette création de valeur ? Existe-t-il des conflits de Business Model du point de l’offre (ex : conflits de positionnement) ou de la demande (ex : conflits d’usage) ?

Toutes les stations ne sont pas égales face aux défis évoqués, tout comme la crise que nous vivons ne les impacte pas de la même façon. Il n’y a donc pas de réponses uniques aux questions ci-dessus. Chaque station, en faisant l’examen de sa situation, peut construire le ou les Business Models durables qui lui paraissent les plus adaptés.

Et quid de la place du ski alpin ?

Aujourd’hui, le ski occupe une place centrale dans le tourisme de montagne. Après tout, la France reste l’une des principales destinations ski du monde et compte des stations de montagne disposant d’une offre ski exceptionnelle.
A plus long terme ? Chaque station apportera sa réponse à cette question. Là encore, il n’y a pas de modèle unique ; la dépendance à l’activité ski ne pose pas les mêmes problèmes partout. On peut imaginer que les stations de basse ou moyenne altitude, dont les niveaux d’enneigement sont davantage menacés par le réchauffement climatique, vont chercher à réduire leur dépendance au ski en diversifiant l’offre, notamment sur les autres saisons. Inversement, il semble légitime que les stations d’altitude continuent à proposer un modèle centré sur le ski en diversifiant leurs offres autour de cette activité.

Pour autant dites-vous, il faut relativiser l’impact de la crise Covid. Pourquoi ?

Malgré ses conséquences, la crise sanitaire ne peut se comparer aux défis sociétaux évoqués précédemment. D’une part, cette crise demeure un évènement qui, espérons-le, prendra fin prochainement. D’autre part, elle n’a pas le caractère structurant pour l’avenir du tourisme de montagne d’un enjeu comme le réchauffement climatique, par exemple. Ces défis étaient là avant, ils seront là après et ils ne sont pas en pause pendant cette crise. Les laisser de côté dans l’urgence de la crise me semble être une erreur qui reviendrait à perdre de vue le moyen/long terme.

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