Professeur d’écologie à l’Université Savoie Mont Blanc (USMB) Directeur adjoint du laboratoire CARRTEL, Centre Alpin de Recherche sur les Réseaux Trophiques des Écosystèmes Limniques (UMR INRAE/USMB). |
Pouvez-vous nous présenter tout d’abord le CARRTEL, Centre Alpin de Recherche sur les Réseaux Trophiques des Écosystèmes Limniques ? Basé à Thonon-les-Bains et Savoie Technolac, le CARRTEL est un laboratoire de recherche de l’Institut National de Recherche en Agriculture, Alimentation et Environnement (INRAE) et de l’Université Savoie Mont Blanc (USMB). Il compte environ une quinzaine d’enseignants-chercheurs et chercheurs et une quinzaine de personnel technique. Il travaille principalement sur l’écologie aquatique et les écosystèmes lacustres. Il assure une mission spécifique sur les quatre lacs situés en Savoie Mont Blanc, à savoir : suivi de la qualité des eaux au niveau chimie et biologie, travaux de recherche pour comprendre leur fonctionnement et leur adaptation aux changements climatiques ou aux pratiques touristiques, aux aménagements… Et ce, en collaboration avec leurs gestionnaires, mais aussi les Conservatoire des espaces naturels de Savoie et de Haute-Savoie et le monde socio-économique comme les pêcheurs. Le CARRTEL travaille aussi sur les lacs alpins, moins soumis à la pression d’activités humaines. Des exemples concrets d’application ? Les applications sont nombreuses. Dans les années 70/80, les suivis scientifiques ont par exemple permis de poser le diagnostic sur l’eutrophisation des lacs d’Annecy et du Bourget liée aux eaux usées. Ils ont notamment débouché sur la mise en place du tout à l’égout qui enserre désormais le lac d’Annecy et qui est redirigé, en aval, vers une station d’épuration. La qualité des eaux de ces lacs s’est depuis nettement améliorée. Nous travaillons aussi sur les bords de lac, et essayons de comprendre à quel point les roselières participent au fonctionnement lacustre, mesurons l’efficacité de leur restauration… Au sein du laboratoire, une doctorante a également réalisé sa thèse sur le silure, en collaboration avec la filière pêche, pour évaluer l’impact, finalement limité à ce jour, de cet énorme poisson exotique, sur le réseau trophique. Et un jeune collègue chercheur a décroché un financement de l’ANR, Agence Nationale de la recherche, pour travailler sur le bilan carbone de nombreux lacs dans le Monde. Ces derniers sont des écosystèmes en capacité d’emmagasiner d’énormes quantités de carbone. Comment est-il stocké ? Dans quelle mesure les lacs, souvent négligés dans les budgets globaux du carbone, sont-ils réducteurs ou accélérateurs du réchauffement climatique ? Les travaux vont tenter de reconstituer cette dynamique de stockage à partir de prélèvements de carottes sédimentaires et d’outils de modélisation. Nous travaillons par ailleurs déjà avec EDF et le centre d’ingénierie hydraulique sur le bilan carbone des lacs de barrage. Votre laboratoire est par ailleurs en pointe sur le développement des outils ADN, mais aussi d’une méthode nationale pour la compensation des zones humides… Tout à fait. Nous développons et validons des outils ADN environnemental innovants qui permettent de détecter de manière plus efficace et plus rapide par exemple des micro-organismes, comme les diatomées, qui sont des indicateurs de la qualité des eaux. Cela permet de faire évoluer les méthodes et critères de suivis de la Directive Cadre sur l’Eau. Nous menons également des travaux en lien avec l’Office Français de la Biodiversité. Nous avons mis au point un outil national d’évaluation des fonctions des zones humides en 2016. Cette méthode permet de vérifier, de manière simple, que les principes de compensation sont bien respectés lors d’un aménagement impactant ces milieux. Une version 2 est actuellement en cours d’élaboration, mais aussi de nouveaux outils pour mieux évaluer les fonctions biogéochimiques. Les travaux du CARRTEL portent également sur les lacs proglaciaires à travers le projet Ice & Life que la Fondation pourrait soutenir… Effectivement. Le projet Ice & Life, lancé en 2021 par le glaciologue haut-savoyard Jean-Baptiste Bosson, ambitionne de développer une connaissance interdisciplinaire, et un cadre de protection et de gestion inédit, sur les glaciers et les secteurs désenglacés dans le monde. Le retrait des glaciers alpins laisse place à de nouveaux lacs d’eau douce, des lacs proglaciaires. Nous souhaitons évaluer et suivre l’évolution des écosystèmes. Il n’y a pas vraiment de cadre autour de ces nouveaux territoires et les enjeux de protection sont énormes. Ce projet est d’ores et déjà adossé à de nombreux de partenaires du secteur privé et soutenue par la Fondation de l’alpiniste et traileur espagnol Kilian Jornet. Pour finir, quelle est votre définition de la recherche ? Essayer de résoudre des questions complexes avec des outils innovants et pertinents pour apporter une réponse la plus proche possible de la réalité. Et, selon vous, l’apport de la recherche sur le monde de l’entreprise et la société ? En France, nous avons un problème de séparation entre recherche fondamentale et recherche appliquée, ce qui n’est pas le cas dans le reste du monde. Notamment aux États-Unis où les chercheurs sont souvent aussi des dirigeants d’entreprise. La recherche peut produire des connaissances pour développer de nouveaux process ou concepts… pour les entreprises. Nous avons, au niveau du CARRTEL, des collaborations ponctuelles avec des entreprises et/ou des start-up comme Spygen, laboratoire spécialisé dans l’inventaire de la biodiversité aquatique et terrestre au Bourget-du-Lac, sur les outils d’ADN environnemental ou CT2MC, société d’ingénierie spécialisée dans le développement de produits d’innovation, avec qui nous avons conçu un drone nautique équipé d’un programme de navigation et de sondes, qui permet par exemple de définir une carte de la distribution des bancs de poissons dans un lac.
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