Propos de chercheurs 2020

Durant cette période de pandémie et de confinement, source de nombreux questionnements et remises en cause, la Fondation de l’Université Savoie Mont Blanc donne la parole aux chercheurs dans le cadre de sa chronique « Soigner les maux avec des mots ». Toutes disciplines confondues, les compétences des chercheurs de l’USMB peuvent, tout à la fois, apporter un éclairage, des analyses, des conseils, des réponses, ainsi qu’un travail réflexif à conduire devant l’urgence.

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Aujourd’hui, Arnaud Carre (habilité à diriger des recherches) & Morgane Metral, tous deux maîtres de conférences au département de Psychologie, docteurs en psychologie, psychologues spécialisés en neuropsychologie et approches comportementales, cognitives et émotionnelles au Laboratoire Inter-universitaire de Psychologie – Personnalité, Cognition, Changement Social (USMB, Univ. Grenoble Alpes, EA4145) reviennent sur l’impact psychologique de la pandémie et des mesures associées (confinement, distanciation physique…)

Covid-19 et bien-être : le travail, acteur de la réassurance ?

 Au-delà de l’aspect “infectiologique”, la pandémie a obligé près de trois milliards de personnes à se confiner dans le monde. Pourquoi cette situation peut être considérée comme une source de difficultés psychologiques ?

L’impact psychologique repose au moins sur deux évènements identifiés : la pandémie d’une part, et les mesures sanitaires de confinement d’autre part. Ceux-ci ont en commun le niveau élevé d’incertitude susceptible de générer de la détresse psychologique, comme de hauts niveaux de stress, l’anxiété et la dépression.

Rappelons que cette pandémie est causée par un virus jusqu’ici inconnu et qu’il n’existe à l’heure actuelle pas de traitement efficace ni de vaccin. A ce premier facteur de stress, s’ajoute l’emballement médiatique, notamment le décompte des morts, qui a pu exacerber les peurs. Depuis plusieurs mois, des cas de rejet des autres, associés à des peurs pour soi d’être malade et très contagieux ont pu conduire à une grande détresse et parfois à des suicides. L’actuel contexte polémique autour des essais cliniques, ayant dépassé la sphère de l’échange scientifique (des experts qui s’écharpent et ne s’accordent pas), participe aux inquiétudes voire à une crise de confiance. Cela peut notamment faire le nid des théories de complot. Ces éléments sont de nature à renforcer les comportements néfastes pour la santé et le bien-vivre ensemble.

Concernant le confinement, s’il a pu parfois être envisagé comme une chance de « se retrouver » avec soi-même, il a possiblement généré des affects négatifs. Ceux-ci peuvent être la conséquence de nombreux facteurs tels que la restriction des libertés, le mal logement, les relations interpersonnelles difficiles au sein du foyer, le contrôle du temps d’activité physique, la rupture des activités habituelles, la distanciation physique, etc. Cette mise à distance a privé de nombreux contacts directs dont on sait l’importance pour l’adaptation voire la survie humaine.

Quel est/pourrait être l’impact psychologique d’une telle mesure ?

Nous ne bénéficions que de peu de recul sur le cas particulier du confinement lié à la Covid-19 d’une part, et les quelques données sont très majoritairement asiatiques d’autre part (une variabilité culturelle peut exister). Si le phénomène de confinement a été d’une ampleur extraordinaire de par le nombre de personnes concernées sur la planète, et notamment pour nous en France, il n’est toutefois pas inédit. Durant des épisodes antérieurs liés à des virus grippaux (grippe équine), Ebola ou d’autres coronavirus (comme le SARS et MERS), des confinements ont déjà pu être décrétés. Cela apporte un certain recul sur ce qu’une quarantaine a comme effet sur la santé mentale des individus. Ainsi, des confinements supérieurs à 10 jours constituent des risques d’augmentation de troubles anxieux et liés au stress. Les personnes qui connaissent une certaine fragilité psychologique (sans trouble spécifiquement déclaré) peuvent voir celui-ci émerger. En outre, les diagnostics semblent se constituer et être repérés assez fréquemment à moyen terme, c’est-à-dire quatre à six mois après la fin d’un confinement. Enfin les personnes connaissant déjà de troubles psychologiques ont été très vulnérables avec de possibles aggravations ou rechutes.

En France, où les dispositifs d’accompagnement de la santé mentale sont encore perfectibles, et où la psychiatrie est un “parent pauvre” (et très stigmatisé du paysage sanitaire), des situations catastrophiques à moyen et long terme peuvent être redoutées. En outre, les addictions comme les troubles alimentaires ont pu être exacerbés durant le confinement, et les personnes rencontrant ces difficultés ne pas avoir accès aux prises en charge nécessaires.

Quid des conséquences possibles des mesures de distanciation physique ?

La privation de contacts physiques, potentiellement sources de détresse, tend à être partiellement compensée par le maintien d’un lien social indirect.  Les poignées de mains et accolades, tout comme la bise, mais de manière plus globale la forte proximité physique connue dans les moyens de transports, entreprises et administrations, comme dans les établissements de loisirs, risquent ne plus être à l’ordre du jour tant que le virus n’est pas éradiqué ou davantage maîtrisé. C’est forcément difficile à concevoir tant nous avons des habitudes. Face à la convivialité physique qui va être mise de côté quelques temps (proximité inter-personnelle, pauses café, repas partagés, etc.), il est possible qu’un grand nombre de personnes ressentent de la frustration, une incapacité à respecter les mesures barrières, voire se replient sur eux-mêmes. Ce repli est évidemment néfaste pour le bien-être et la santé mentale des individus.

Par ailleurs, les difficultés à maintenir la distanciation physique peuvent être particulièrement saillantes chez les personnes qui présentent des difficultés à comprendre le sens de ces mesures. Ainsi, les enfants, les personnes âgées et souffrant de troubles psychiques et neurologiques ou de déficiences intellectuelles, peuvent être en grande difficulté.

Avez-vous des conseils et/ou suggestions à formuler aux dirigeants alors que les salariés commencent à reprendre le chemin des bureaux ?

Face à cette période exceptionnellement difficile à vivre par les restrictions apportées, et par le niveau de détresse qu’elle a pu générer, il apparaît important d’être vigilants en tant que salariés et dirigeants.

La “crise en santé mentale” qui peut toucher tout un chacun arrivera probablement quelques mois après la crise “biologique” de la Covid-19. Les quarantaines ont pu être une période de quasi-isolement comme une période de promiscuité (enfants, mais également conjoints, parents, voire colocataires ou voisins invasifs parfois malgré eux). Pour l’une ou l’autre de ces raisons, les individus ressentent parfois un stress ou un épuisement qui peut être à l’origine de troubles variés prenant des formes de repli dépressif comme des réactions explosives.

Au stress puis à l’épuisement s’ajoute un sentiment d’insécurité à la fois sanitaire et économique. Ainsi, évoquer l’état de santé global des membres de l’entreprise et l’état de santé financier de la société pourrait être une source de réassurance. Même lorsque les nouvelles ne sont pas réjouissantes, leur communication (dans le respect de la confidentialité évidemment) pourrait favoriser le sentiment de contrôle et diminuer les incertitudes (et donc infléchirait le mal-être).

Il apparaît donc nécessaire que les dirigeants participent à l’instauration d’un sentiment de sécurité et favorisent des temps de partage ?

Rassurer sur la mise à disposition d’équipements de protection individuelle (EPI) en amont d’une reprise en présentiel est nécessaire : il y a des masques, du savon et du gel, des cloisons, etc.. Tout comme présenter, en avance et le jour même, les mesures barrières et les nouveaux modes d’organisation (horaires décalés, hybridation du travail, circulation physique, etc.).

Favoriser des temps de partage individuel et social des vécus et émotions est également essentiel. Certaines personnes ont été surmenées pour des raisons familiales (et le sont peut-être encore), certaines ont été malades, d’autres ont pu perdre des proches (avec des deuils complexes en raison des distanciations). Cela pèse sur les capacités actuelles à s’adapter et doit pouvoir être entendu, avec bienveillance, sans intrusion. En outre, comme le rappelle l’OMS, il faut veiller à ne pas stigmatiser ou étiqueter ses collègues comme “la collègue rescapée Covid”, “le collègue dont le conjoint a été malade”, “la collègue épargnée du télétravail grâce à la maladie”, etc. Les individus ne peuvent être résumés à la maladie.

Enfin, la distance physique ne doit pas être une distance sociale ou affective. Il apparaît donc souhaitable de réussir à maintenir le contact social et les moments de convivialité au travail. Il peut être suggéré d’aménager les lieux communs plutôt que de les fermer, de laisser aux salariés la possibilité de choisir parmi différents aménagements possibles. Cela peut permettre aux individus de retrouver un sentiment de contrôle face aux incertitudes et ainsi un début de réassurance et bien-être au travail.

 

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Arnaud Carre, maîtres de conférences, docteurs en psychologie.

Morgane Metral, maîtres de conférences, docteurs en psychologie.

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Aujourd’hui Emilie-Anne Pépy, maîtresse de conférences en histoire moderne et Anne-Sophie Nardelli, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’USMB, remontent le temps.

Dans une série de chroniques qu’elles assurent conjointement, elles évoquent la prise en charge du risque épidémique en Savoie, XVIIIe – XXe siècles. Après celui de la peste et du choléra, voici aujourd’hui celui de la grippe espagnole dans un contexte de Grande Guerre. Où l’on préconisait déjà le lavage des mains…

 

Les Pays de Savoie au temps de la grippe espagnole

Dans quel contexte intervient l’épidémie de grippe espagnole au début du XXe siècle ?

Elle intervint dans le contexte très particulier de la Grande Guerre, dont elle ne peut pas être abstraite. Les premiers cas furent documentés dans un camp militaire au Kansas en mars 1918. Aidée par les mouvements de population liés à la guerre (transport des soldats mais aussi, après l’arrêt des combats, retour des réfugiés chez eux), elle aboutit à une pandémie responsable en deux ans de 50 millions de morts à l’échelle planétaire, de 250 000 à 400 000 morts en France dont 2 141 en Savoie : ce chiffre, délivré en 1919 par le Conseil général, est très probablement sous-estimé.

Par ailleurs, les rapports des chefs des bureaux d’hygiène municipaux rapportent des cas partout, même dans les hameaux éloignés : une bonne partie de la population fut sans doute touchée par la grippe. Celle-ci frappa d’autant plus les esprits qu’elle se traduisit par une surmortalité dans la tranche d’âge 20-60 ans. Elle s’ajoutait au malheur des temps et mit en évidence la vulnérabilité des sociétés en guerre face à une maladie dont on ignorait encore presque tout puisque le virus de la grippe n’avait pas encore été identifié.

 

Comment s’est-elle propagée et quid des réponses sanitaires ?

Après une première vague qui toucha surtout l’armée française au printemps, l’épidémie fut identifiée en Savoie dans les derniers jours d’août, alors qu’elle sévissait déjà violemment en Suisse.

Les premières préconisations du ministre de l’Intérieur ne visaient d’ailleurs que la surveillance des rapatriés depuis la Suisse. Cependant, instruit par les rapports alarmistes des médecins responsables des bureaux d’hygiène, le préfet Emile Grimaud mit en branle la machine sanitaire à partir du 18 septembre, avec toutes les imperfections que pouvait apporter la désorganisation de la guerre.

Le préfet exigea des médecins qu’ils signalent les cas de grippe, tandis que le Conseil départemental d’hygiène et la Direction du service de santé régional définissaient conjointement des mesures de prophylaxie : un affichage public fut réalisé pour inciter la population à limiter les contacts avec les grippés, se laver les mains, ne pas cracher par terre. Il fut relayé par les publicités qui ne tardèrent pas à fleurir dans les journaux sur tel savon particulièrement efficace ou tel remède, mais fut rapidement complété par des mesures plus radicales : désinfection des bâtiments, fermeture des écoles, des restaurants et des salles de spectacle. Les écoles ne devaient rouvrir que progressivement, en fonction de l’état sanitaire des communes concernées. A partir du début du mois d’octobre, les malades furent placés à l’isolement.

La guerre influença cependant profondément ces mesures : on manquait de produits pour la désinfection de locaux, pour soigner les hospitalisés civils, de médecins, qui étaient mobilisés, de voitures automobiles et d’essence pour leur permettre de visiter un plus grand nombre de malades dans des villages éloignés. Les permissions des soldats, considérées depuis 1917 comme un droit social acquis, furent maintenues et la quarantaine peu pratiquée. On peut voir là également l’héritage de l’approche plus libérale de la gestion des épidémies depuis le XIXe siècle, où les restrictions de circulation n’étaient pas considérées comme une mesure adéquate et où on mettait plutôt l’accent sur la surveillance épidémiologique. Néanmoins, ainsi que l’a souligné Frédéric Vagneron dans le colloque “Les Pays de Savoie dans la Grande Guerre, 1918”, cette réponse sanitaire constitua, par comparaison avec d’autres départements, y compris des départements voisins comme l’Isère, une réaction remarquable par sa précocité, dès le 18 septembre, et son caractère relativement ample et organisé.

 

N’assiste-t-on pas parallèlement à une évolution du discours sur les épidémies ?

La grippe espagnole manifesta une forme d’aboutissement de la sécularisation du discours sur les épidémies : là où, à l’occasion des épidémies de choléra du XIXe siècle, les évêques avaient pu recourir au discours sur le châtiment divin et le nécessaire retour à la foi, l’épisode de 1918-1919 fit l’objet d’efforts de compréhension qui portaient sur le contexte de guerre accusé d’amplifier l’épidémie et sur les mécanismes de celle-ci. La médecine expérimentale tâcha ainsi de déployer ses ressources d’observation et d’induction face à cette maladie inconnue. Ainsi le docteur Monard, chef du bureau d’hygiène d’Aix-les-Bains, se pencha-t-il tout particulièrement sur l’origine et les mécanismes de contagion de la grippe. Il relata ses théories à longueur de rapports, guidé par cette conviction : « Et pourtant c’est de la détermination de la cause que doivent dépendre toutes les mesures prophylactiques, si nous ne voulons pas éternellement nous agiter dans le vide, et prescrire sans cesse des mesures variées aussi compliquées qu’inutiles ». Son témoignage manifeste le caractère relativement disparate des mesures prises, qui ne s’explique pas tant par le fonctionnement de la structure sanitaire que par le contexte de la guerre et l’insuffisance des connaissances scientifiques.

Une certaine attention était également portée par ces médecins aux autres infections qui, conjuguées à la grippe, étaient souvent fatales, comme la tuberculose.

 

La grippe espagnole soulève aussi la question des inégalités

Face à l’épidémie effectivement, les inégalités de toutes sortes s’exprimèrent. La conjugaison de la grippe et de la tuberculose, dont la prévalence était plus forte dans les quartiers populaires plus ou moins salubres, mit en évidence le rôle des inégalités sociales dans la létalité plus ou moins grande de la grippe.

Dans un autre registre, lors du débat qui eut lieu à la Chambre des députés le 25 octobre 1918, le député savoyard Antoine Borrel mit en relief l’inégalité supposée des territoires, entre Paris et la province, territoires ruraux et territoires urbains, territoires bien desservis et territoires enclavés. Il fit partie de ceux qui interpellèrent le gouvernement sur l’urgence de combattre l’épidémie de grippe sur “ l’ensemble du territoire” et par des “règles générales”. Il avait été précédé par la presse locale, qui dès le début du mois d’octobre critiqua l’incurie des pouvoirs publics et exigea des aides pour les ménages les plus pauvres afin qu’ils puissent acheter des médicaments. Ces réclamations adressées à la puissance publique dessinent la construction du lien de plus en plus étroit à l’époque contemporaine entre santé publique et citoyenneté : s’il était demandé aux citoyens de remplir des devoirs d’hygiène et de comportement civique dans l’espace public en temps d’épidémie, il était également entendu que tout citoyen avait le droit d’être soigné de manière équitable. Cette interpellation faite au gouvernement n’aboutit cependant à aucune réponse nouvelle à la crise sanitaire : entre l’urgence de la fin de la guerre et la démobilisation culturelle et sociale qui tourna progressivement le pays vers la reconstruction, la grippe espagnole ne figura pas au premier rang des préoccupations, et ce d’autant plus que fut constatée en décembre 1918 une décroissance nette des cas graves. Les départements savoyards furent de nouveau touchés, mais de façon moindre, par la troisième vague de l’épidémie qui survint entre février et avril 1919.

 

La grippe espagnole n’a-t-elle pas néanmoins été le point de départ d’une mobilisation scientifique, politique et administrative pour anticiper les prochaines épidémies ?

Oui tout à fait.  A l’échelle locale, le Conseil général de Savoie vota des résolutions favorables à l’achat de baraquements au service de santé militaire et augmenta pour les quelques années suivantes les budgets dévolus aux services des épidémies et de la désinfection. A l’échelle nationale et globale, l’épidémie de grippe espagnole contribua à développer la recherche : le virus de la grippe fut identifié au début des années 1930.

 

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Anne-Sophie Nardelli, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’USMB

Emilie-Anne Pépy, maîtresse de conférences en histoire moderne

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Aujourd’hui Emilie-Anne Pépy, maîtresse de conférences en histoire moderne et Anne-Sophie Nardelli, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’USMB, remontent le temps.

Dans une série de chroniques qu’elles assurent conjointement, elles évoquent la prise en charge du risque épidémique en Savoie, XVIIIe – XXe siècles. Après celui de la peste, voici aujourd’hui celui du choléra. Où il était déjà question de controverses scientifiques entre médecins…

La Savoie au temps du choléra

Dans les premières décennies du XIXe siècle, une maladie nouvelle et redoutée fait son apparition en Europe : le choléra. Comment s’est-elle propagée et quelles ont été les premières mesures prises pour limiter son extension ?

Dans les premières décennies du XIXe siècle, le choléra, dont les récits des explorateurs racontaient les ravages en Asie du sud depuis le XVIe siècle, devient pandémie.

De 1831 à 1835, plusieurs régions d’Europe sont touchées : la maladie fait 20 000 morts à Paris en 1832 et atteint également les Etats sardes. Les autorités sanitaires adoptent alors les mesures préventives et coercitives coutumières, comme la surveillance des voyageurs, la quarantaine obligatoire pour les hommes et les bêtes.

Elles voient en outre leurs moyens se renforcer sur le terrain : des commissions de salubrité sont créées dans chaque ville et commune importante, qui rendent compte très régulièrement au Conseil provincial de santé. Elles ont pour missions de renseigner sur la santé publique par la tenue de registres très précis des malades recensés, d’organiser le réseau de distribution des remèdes, d’informer le public, de faire appliquer les directives d’hygiène publique (éloignement hors des quartiers habités des immondices ou fumigations des lieux infectés). Un édit d’octobre 1831 prévoyait jusqu’à la peine de mort pour ceux qui violeraient les règlements sanitaires, même s’il fut en réalité peu appliqué. Si cette première épidémie de choléra épargna relativement la Savoie, il n’en alla pas de même de celles survenues en 1854 puis en 1867, qui virent par ailleurs également l’amorce de nouvelles réactions sanitaires.

De nouvelles épidémies de choléra se sont déclarées en 1854 et 1867. Qu’est-ce qui les a caractérisées ?

Elles survinrent dans un contexte politique différent des précédentes : l’épidémie de 1854 fut affrontée par une monarchie sarde plus libérale, dans une Savoie où les notables montaient en puissance ; celle de 1867 se déroula alors que la Savoie était désormais rattachée à la France alors sous le Second Empire.

Elles ne furent pas non plus abordées de la même manière. Si l’intendant sarde en Savoie émit une circulaire relative aux mesures d’hygiène publique à prendre, son application dut davantage aux initiatives locales qu’à un degré de coercition élevé.

En effet, au départ et afin d’éviter une panique générale, les autorités cachèrent les premiers décès. Si des instructions sur les mesures prophylactiques à adopter furent publiées, aucune quarantaine ne fut appliquée. Un lazaret fut bien créé à Moûtiers, mais assez tardivement, alors que la ville était déjà durement frappée par l’épidémie.

La prise de décision n’était pas facilitée par les controverses scientifiques entre médecins, qui s’opposaient sur la qualification de l’épidémie, sur la contagiosité du choléra, sur les remèdes empiriques à adopter. L’ouvrage consacré au choléra en 1867 par le Dr. Antoine Jacquemoud critiqua les “errances” de l’autorité administrative lors de l’épidémie de 1854 et salua les initiatives des municipalités : si sa qualité d’ancien député annexionniste et membre d’un cercle “démocratique” peut contribuer à expliquer ses critiques à l’égard du régime piémontais, il n’en reste pas moins que la gestion de la crise paraît moins centralisée. Sur le terrain, des médecins jouèrent un rôle crucial, comme le Dr. Mottard à Aiguebelle et Saint-Jean-de-Maurienne : avec l’appui de la commission municipale mise en place dans cette ville pour veiller à la santé publique alors que l’épidémie menaçait, il mit sur pied des sortes d’hôpitaux de campagne pour isoler les malades, se fit le chantre d’un discours hygiéniste appelant à une meilleure aération des logis et à une plus grande propreté des villes et promut l’assainissement général des quartiers habités. Des secours gratuits à domicile furent mis sur pied.

Aix-les-Bains, tout en proclamant que l’état sanitaire de la ville était des plus satisfaisants, mit sur pied dès le 3 août 1854, soit quinze jours avant que l’évêque de Chambéry n’évoquât lui-même le choléra, une commission spéciale, constituée pour presque une moitié de médecins, chargée d’informer sur la situation sanitaire et de conseiller sur les mesures d’hygiène publique à prendre.

On voit également le rôle des médecins évoluer sur cette période…

Les médecins assumaient désormais un rôle d’expert qui conduisit à la publication, entre autres par les Dr. Mottard et Jacquemoud, de plusieurs ouvrages et opuscules entre les épidémies de 1854 et de 1867.

Si leurs récits et analyses font une place aux lieux communs de l’épouvante et de la consternation face à l’épidémie, révélant un désarroi bien réel face à une maladie encore mal connue et semblant frapper au hasard, ils se distinguent surtout par leurs efforts pour comprendre les mécanismes de la contagion et de la maladie et s’en prémunir à l’avenir : la médecine expérimentale joua un rôle essentiel dans la gestion des épidémies et la constitution de savoirs plus étendus sur leur compte. La préoccupation d’identifier les prodromes de la maladie, les raisons de son irruption, voire un “patient zéro”, même si le terme ne figure pas dans le récit, est très présente. Ces analyses allèrent de pair avec l’émergence d’une politique de santé publique fondée sur l’observation épidémiologique et sur des mesures de prophylaxie.

Dans le contexte politique nouveau (cf ci-dessus), la gestion de la crise de 1854, moins autoritaire et fondée sur une association plus étroite des autorités civiles et des médecins, inspira les politiques des années suivantes tandis que l’intégration de la Savoie à la France accélérait la structuration d’une nouvelle politique de santé publique.

Quid de l’impact du rattachement de la Savoie à la France sur la gestion des épidémies ?

Lors de l’épidémie de 1867, les services du Dr. Mottard furent de nouveau employés, cette fois-ci à l’initiative du sous-préfet et pour toute la vallée de la Maurienne. Quant à la ville de Chambéry, durement éprouvée par 136 décès sur 200 cas, dont 80 % survenus dans le faubourg Maché, elle adopta le discours hygiéniste et se lança dans une politique de développement des infrastructures urbaines, notamment des canaux. Dès 1856, la ville d’Aix-les-Bains avait pérennisé la commission d’hygiène publique afin de se prémunir contre le retour du choléra à l’été : les trois membres, dont des médecins, avaient déjà siégé dans la commission de 1854.

Après le rattachement à la France, se mit peu à peu en place un système hiérarchisé à tous les échelons administratifs. Si, dans un premier temps, la commission municipale disparut au profit du Conseil d’hygiène publique et de salubrité mis en place en France à l’échelle départementale pour la surveillance épidémiologique, elle fut de nouveau autorisée par le préfet en 1892. La grande loi sanitaire de 1902, qui réunit l’ensemble des réglementations diverses et éparses du XIXe siècle, la rendit obligatoire pour les villes de plus de 20 000 habitants et les stations thermales. Cette organisation restait cependant assez décentralisée et fonctionnait plus ou moins selon les initiatives locales.

Ces instances se concentrèrent sur la surveillance de la diphtérie, de la rougeole, de la coqueluche, et bien sûr du choléra, qui concentra l’inquiétude des pouvoirs publics. La grippe “russe” qui frappa l’Europe en 1889-1890 ne marqua pas autant les mémoires, malgré les 60 000 décès qui lui sont imputés en France : la grippe faisait partie des maladies à déclaration facultative. Encore au début de la Grande Guerre, les mesures prophylactiques prises pour prévenir les épidémies le furent essentiellement contre le choléra, sur la base de l’arrêté ministériel du 17 décembre 1914.

A suivre avec une prochaine chronique consacrée à “Les Pays de Savoie au temps de la grippe espagnole »

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Anne-Sophie Nardelli, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’USMB

Emilie-Anne Pépy, maîtresse de conférences en histoire moderne

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Aujourd’hui, Richard Calvi, professeur des universités à l’USMB, revient sur les bouleversements qui affectent actuellement la fonction Achats au sein des entreprises. Le mythe de l’acheteur qui se promène beaucoup dans le monde va être encore moins présent, le métier change et doit relever de nouveaux défis dont celui du risque. Explications

Fonction achats et résilience, le collaboratif fera la différence ?

Qu’est-ce qui caractérise la fonction achats dans cette crise que nous traversons ?

Le maître mot, c’est la résilience ! En cela, la crise économique et financière de 2008/2009 a ouvert des portes. A cette époque, les donneurs d’ordres, soucieux de récupérer du cash, ont agi au détriment des maillons les plus faibles : leurs fournisseurs. Des faillites en cascade ont suivi, générant des problèmes d’approvisionnement à l’heure de la reprise.  Ce mode de fonctionnement très égoïste a entraîné une prise de conscience : celle de la nécessité de résonner “écosystème” dans les achats. L’Etat a alors considéré que la “main invisible” (*) ne suffirait pas à rétablir l’équilibre économique dans les supply chain et a donc lancé, en avril 2010, la médiation interentreprises de manière à établir des règles de conduites partagées.  On peut donc espérer que 2009 ait été la dernière crise égoïste. La certitude c’est qu’à partir de là, on a davantage parlé de collaboratif et d’achats responsables. Aujourd’hui, on a appris du passé et le reflexe égoïste est moins présent, notamment dans les grandes entreprises.

La première bonne pratique dans cette crise a donc été de s’assurer de la santé de ses fournisseurs et d’essayer de mettre en place des paiements rapides dans une logique de sécurisation. Dans le scénario où, en septembre prochain, on assisterait à un rattrapage de consommation, lié au report de besoins non satisfaits en raison du confinement, des problématiques de capacité pourraient se poser. Les clients qui s’en sortiront le mieux seront ceux qui auront su garder un lien collaboratif avec leurs fournisseurs.  Le collaboratif devrait être un maître mot pour reconstruire la suite.

 

Justement, comment reconstruire la suite sachant que cette crise du Covid-19 a mis en lumière un certain nombre de failles dans la logique “approvisionnements” et que l’on parle relocalisation ?

Pour relocaliser encore faut-il que des filières existent en Europe or ce n’est souvent plus le cas.  La fabrication de produits sans valeur ajoutée est partie en Chine et ce n’est pas une entreprise seule qui réussira aujourd’hui à (re)créer une filière.  Pour ce faire, nous devons donc réfléchir “collectif” et à l’échelle européenne. Il va falloir que la “main invisible” soit, comme en 2009, aidée par une autre main, car cette volonté de collaborer doit être accompagnée.

Le CNA, Conseil national des achats, pourrait être un bon intermédiaire, à même de fédérer les acteurs et de les inciter à se mettre autour de la table pour chercher des solutions.

 

A court terme, quel est l’impact de cette crise sur le métier d’acheteur ?

Elle a un impact très fort sur le métier et sur sa forme. Le mythe de l’acheteur qui se promène beaucoup dans le monde va être encore moins présent, avec une montée en puissance très forte de la digitalisation et du big data. Les outils digitaux, notamment dans le domaine du supply chain mapping, existent déjà mais leur développement va s’accélérer car les entreprises pivots voudront pouvoir anticiper l’impact d’évènement tel que le Covid-19 sur leur chaîne d’approvisionnement.  Le spécialiste finlandais de data analysis Sievo a par exemple réussi à mettre au point, lors d’un hackaton interne de 72 heures, un mapping du risque Covid en temps réel dans le monde, en lien avec l’implantation des fournisseurs de ses clients et en partenariat avec un hôpital de Chicago disposant de la plus grande capacité d’information Covid déclarée. Ainsi chaque acheteur est capable en temps réel d’évaluer le risque fournisseur en fonction de ses implantations. Ce genre d’outils va devenir un must dans le pilotage des supply chain. 

 

Quid du risque justement ?

Dans la fonction Achats, on résonne traditionnellement QCD pour Qualité, Coût, Délais. A l’évidence aujourd’hui, il faudra ajouter le R, pour Risque. Cela suppose que les N+1 de la fonction Achats intègrent cette notion dans leur tableau de bord et donc dans les objectifs qu’ils imposeront à leur fonction Achats. Ce sera le gros challenge.

La fonction Achat a les outils, elle sera aidée par la technologie mais tout cela n’aura pas de sens sans la réévaluation de ses objectifs.

La création de filières d’approvisionnement ne se fera par ailleurs pas sans coût et ceux-ci ne seront pas accompagnés de gains à court terme. Il est donc, là aussi, indispensable, en interne, d’avoir la compréhension des fonctions générales, ce qui dans la logique actuelle risque d’être difficile. C’est peut-être une belle opportunité pour les Direction d’Achats d’acquérir ce statut de “stratégique” qu’elles recherchent tant en étant des acteurs de la résilience de long terme.

 

(*) La main invisible : expression de l’économiste Adam Smith qui désigne la théorie selon laquelle l’ensemble des actions individuelles des acteurs économiques, guidées (par définition) uniquement par l’intérêt personnel de chacun, contribue à la richesse et au bien de la société dans son ensemble.

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Richard Calvi, Professeur des Universités, spécialiste en commerce-vente & management international. Responsable Parcourt « Achats et Logistique » du master « Management » à l’IEA Savoie Mont Blanc

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Aujourd’hui, Christophe Ménézo, vice-président en charge du Patrimoine et de la Transition énergétique à l’USMB, enseignant à Polytech Annecy-Chambéry, chercheur au LOCIE et au sein de la Chaire d’Innovations Transfrontalières sur l’Efficacité Energétique-CITEE revient sur la crise du Covid-19 : va-t-elle bousculer notre manière de penser la ville et son organisation ? Entretien.

Métabolisme urbain et résilience : quid de nos mondes urbains de l’après ?

Le métabolisme urbain tout d’abord, c’est quoi ?

Le métabolisme urbain représente un domaine d’étude relativement nouveau et prometteur pour les recherches menées sur les villes et leur “développement durable”.

C’est un concept dans lequel la ville est analysée en utilisant les notions se référant aux processus internes par lesquels les organismes vivants maintiennent un échange ou flux continu de matière et d’énergie avec leur environnement pour permettre leur fonctionnement, leur croissance, leur adaptation aux contraintes extérieures et leur reproduction.

Cette vision s’en trouve renforcée par les recherches croissantes suivant des approches “bio-inspirées”.  Celles-ci tendent en effet à s’inspirer des organismes vivants qui maintiennent un échange continu avec leur environnement pour fonctionner, grandir, se reproduire et qui savent faire preuve d’innovation permanente, notamment les plus petits, pour s’adapter aux contraintes auxquelles ils doivent faire face.  En termes de recours aux matériaux multifonctionnels et d’habitat par exemple, les insectes notamment font référence. En témoignent les termites, les fourmis ou les abeilles.

Concernant la ville ou l’espace urbain, la démarche proposée peut être utilisée pour favoriser la disponibilité naturelle et anthropique des ressources et leur utilisation pour gérer les rejets (déchets, eaux usées, pollution…), l’aménagement et les constructions afin de préserver l’environnement actuel ou

futur. L’approche visant à considérer le métabolisme urbain est forcément pluridisciplinaire et s’oriente vers une combinaison de sciences pour l’ingénieur, science naturelles et sociales (philosophie…).

 

En quoi la période de crise que nous traversons peut avoir un impact sur ce métabolisme urbain ?

Les systèmes naturels s’organisent de façon à optimiser robustesse et efficacité. Cette connaissance semble essentielle pour orchestrer au mieux, ou orienter vers la meilleure organisation possible à l’échelle globale, nos villes, nos territoires, notre société…

Mais cette adaptation des espèces, qui s’est étalée sur des millénaires, s’effectue sous la contrainte comme celle engendrée par les dérèglements climatiques. Cependant le monde du vivant expérimente par itération dans un mode essais, échecs ou succès sur des périodes temporelles relativement importantes. Certaines espèces disparaissent faute de ne pouvoir s’adapter, évoluer à temps.

Nous, humains, nous avons la capacité de tirer parti de ce retour d’expérience apporté par le monde du vivant. Nous avons aussi la capacité d’accélérer l’analyse et l’adoption de mesures permettant de favoriser la prise de conscience qui était émergente et convergeait vers la nécessité de changer de modèle.

On voit par exemple les limites d’une gestion centralisée de la crise au niveau national. Un organisme vivant s’adapte à son environnement, à l’écosystème dans lequel il évolue. Un organisme ou un ensemble d’organismes – tels que les insectes – est capable de faire converger une certaine “intelligence” collective pour la vie, sa capacité de résilience conditionnant la survie de la collectivité soumise aux contraintes externes. 

La pandémie actuelle doit nous pousser à adopter une telle approche et à aller vers une échelle plus locale.

 

Comment ?

Cette période de confinement que nous venons de vivre doit être mise à profit pour adopter un regard nouveau. Chacun a pu notamment prendre conscience de l’épanouissement et de la “reconquête” de la nature jusqu’à nos espaces urbanisés. Elle a permis de faire émerger des questions fondamentales sur l’organisation de nos sociétés…

Concernant la ville, elle a permis de révéler les problématiques, contraintes et dépendances intrinsèques aux espaces urbains. En termes de mobilité par pas

forcément la meilleure réponse aujourd’hui où l’on s’oriente plutôt vers la promotion de la mobilité douce comme le vélo.

On a souvent tendance à voir les choses sous un seul angle or il est nécessaire de bien prendre l’ensemble du problème dans sa complexité, d’avoir une vision systémique et d’avoir bien conscience des équilibres et des déséquilibres qui peuvent être engendrés par notre activité.

 

Qu’est-ce qui peut en résulter à terme ?

La ville peut être optimisée en s’inspirant du monde vivant. Il nous faut trouver des solutions, en nous appuyant plus largement sur l’expérimentation de ce dernier. L’efficacité des cascades énergétiques concernant les bâtiments, l’industrie mais aussi la mobilité, la minimisation des rejets non valorisables ou, d’une manière plus générale, la minimisation de l’empreinte environnementale sont des facteurs indispensables à la survie de chaque organisme.

Abordé sous cet angle, le métabolisme urbain doit permettre de concevoir des politiques urbaines efficaces. Cela doit s’appuyer sur des paramètres pertinents qui satisfont aux critères des indicateurs de durabilité scientifiquement établis. Ces indicateurs doivent aussi être pertinents pour les urbanistes et les résidents, et fondés sur des données claires et compréhensibles par tous les acteurs du monde urbain y compris le citoyen. 

 

Cette crise du Covid-19 va-t-elle, peut-elle, impulser la création de nouvelles formes de gestion écologique en s’appuyant du coup sur le vivant ?

Si nous nous positionnons à l’échelle de la ville et que nous la regardons par le prisme du monde du vivant, nous pouvons envisager de la définir à l’image d’un mammifère qui intègre de manière centralisée toutes les fonctionnalités spécifiques – génération d’énergie (digestion), centrales de traitement d’eau (reins), déchetterie (rejets)…- comme c’est le cas actuellement. Le voies d’amélioration de l’efficacité sont nombreuses au sein de ce chaînage.

Nous pouvons aussi la considérer comme un tissu cellulaire où chaque cellule, c’est-à-dire chaque quartier, dispose à son échelle de toutes les fonctionnalités et agit de manière autonome. Cet autre modèle d’urbanisation et d’organisation spatiale avec ses magasins, ses bureaux, ses logements, sa production locale de ressources et de valorisation des rejets, pourrait pallier les problèmes de mobilité, de pollution induite, favoriser les circuits courts….

***

POUR ALLER PLUS LOIN

Ingénierie Bio-inspirée : Principe et transition énergétique – G. Merlin et C. Ménézo

Dicks, J.-L. Bertrand Krajewski, C. Ménézo, et al., « Applying Biomimicry to Cities: The Forest as Model for Urban Planning and Design« , Technology and the City, Ed. M. Nagenborg, Springer, forthcoming

 

RENDEZ-VOUS WEBINAIRE

WEBINNOV #1 : « Métabolisme urbain et résilience »

Vendredi 15 mai de 12h à 13h – en ligne.

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Christophe Ménézo, vice-président en charge du Patrimoine et de la Transition énergétique à l’USMB, enseignant à Polytech Annecy-Chambéry, chercheur au LOCIE, Laboratoire optimisation de la conception et ingénierie de l’environnement, et au sein de la Chaire d’Innovations Transfrontalières sur l’Efficacité Energétique-CITEE

 

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Aujourd’hui Emilie-Anne Pépy, maîtresse de conférences en histoire moderne et Anne-Sophie Nardelli, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’USMB, remontent le temps.

Dans une série de chroniques qu’elles assurent conjointement, elles évoquent la prise en charge du risque épidémique en Savoie, XVIIIe – XXe siècles. Aujourd’hui, celui de la peste. Où il était déjà question de confinement et de quarantaine…

Le duché de Savoie au temps de la peste 

Même si les pandémies restent des phénomènes rares, l’histoire de la Savoie est jalonnée d’épisodes épidémiques marquants. Qu’en est-il de la peste par exemple ? 

Sur la période Moderne (XVIe/XVIIIe siècles), les populations sont fréquemment décimées par des maladies infectieuses ou endémiques (diphtérie, coqueluche, typhus, variole, tuberculose, syphilis) mais l’épidémie la plus redoutée reste effectivement la peste.  En Savoie, la peste reste endémique aux XVIe et XVIIe siècles, avec de brusques poussées meurtrières ; par exemple, en 1571, un quart de la population de Chambéry a été emporté.  La première moitié du XVIIe siècle est également très meurtrière, avec une peste dite “de Lyon”, qui touche toutes les régions alpines entre 1629 et 1631, emportant jusqu’au tiers de la population dans certaines localités, suivie d’une nouvelle flambée de cette maladie en 1640.

Comment ces épisodes sont-ils traités ?

Les autorités sanitaires savent qu’elles ne peuvent pas compter sur des remèdes véritablement efficaces, en l’état des connaissances médicales de l’époque. Elles puisent donc dans un arsenal de mesures allant des restrictions de déplacement au confinement.

L’épisode de la “peste marseillaise” en 1720 donne l’occasion d’expérimenter le fonctionnement d’une autorité sanitaire, le Magistrat de santé, chargé de la lutte contre les épidémies, et plus largement des questions de santé publique.

Les territoires dépendant du roi de Piémont-Sardaigne ont été épargnés par la “peste de Marseille” de 1720, qui a fait plus de 120 000 morts en Provence. Il serait exagéré d’attribuer ce résultat aux seules mesures qu’ont fait appliquer les Magistrats de santé, mais elles vont dans le même sens que celles qui ont été prises dans le royaume de France pour enrayer la contagion.

Justement, quelles sont ces mesures ?

Alors que le nombre de morts par jour à Marseille se compte déjà par centaines, les autorités sardes ordonnent dès juillet 1720 la fermeture des frontières extérieures et intérieures, renforcée par un cordon sanitaire armé. Les soldats contrôlent les points névralgiques, y compris les grands cols alpins ; toute tentative de franchissement sans autorisation est passible de mort. Ce déploiement de force est inédit dans la durée, puisque le dispositif reste en vigueur entre 1721 et 1723, et s’adoucit ensuite jusqu’en 1724. Les voyageurs voulant entrer en Savoie doivent au préalable présenter un bulletin de santé, c’est-à-dire un document attestant qu’ils ne sont pas contagieux ; sachant que lorsque la peste se déclare à Marseille, il y a environ 8 000 sujets savoyards hors des frontières, qui potentiellement souhaitent revenir au pays. La liste d’attente pour obtenir les autorisations nécessaires est longue….  

Il est aussi question de quarantaine et de contrôles stricts des déplacements…

Effectivement. A leur arrivée sur le territoire, ces sujets sont dirigés vers un lazaret où ils doivent rester en quarantaine (qui généralement n’excède pas la vingtaine de jours mais est au frais du potentiel malade). Par exemple, sur la frontière entre la Savoie et la France, est mis en place un chapelet de lazarets à Pont-de-Beauvoisin, à Yenne, aux Echelles, au Bourget et en Chautagne. Le plus souvent, ces lazarets sont de simples maisons à l’écart des autres habitations, louées par les autorités publiques à des particuliers. Un médecin assure des visites régulières pour constater si des cas se déclarent.

A partir d’août 1720, les villes savoyardes sont également soumises à des règlements stricts qui limitent les mouvements des habitants et contraignent les autorités municipales à mettre en œuvre des mesures sanitaires comme le nettoyage systématique des rues. On fait appel aux milices bourgeoises pour contrôler les déplacements et vérifier les billets de santé.

Les crises sanitaires se doublent également d’impacts économiques. Quid de leur gestion à cette époque ?

En fonction des nouvelles qui parvenaient à Turin, le Magistrat de santé pouvait décider d’un assouplissement des mesures applicables aux frontières afin de maintenir une activité commerciale a minima. A l’automne 1720, il fut décidé d’une reprise des échanges entre duché d’Aoste et Savoie, avec un luxe de précaution car seuls le bétail, le courrier et les marchandises étaient autorisés à franchir le col du Petit Saint-Bernard, après avoir été nettoyés au vinaigre ou passés par un traitement fumigatoire. Les autorités sanitaires avaient été contraintes d’arbitrer entre le péril épidémique et la menace d’une asphyxie économique de vallées dont l’économie dépendait étroitement du commerce.

L’Etat sarde, pour remédier aux problèmes d’approvisionnement des villes, s’était également engagé à participer au financement de réserves de grains suffisantes pour permettre la subsistance des plus pauvres.

La gestion de la crise des années 1720-1724 a conforté le pouvoir sarde dans l’idée qu’il convenait de maintenir en place des autorités sanitaires efficaces.

Dans le courant du XVIIIe siècle, les Magistrats de santé voient leurs missions élargies à des fonctions de police : surveillance des mouvements de personnes, nettoyage des espaces urbains, contrôle des foires et marchés et particulièrement des boucheries et du commerce des grains.  En cas de départ d’épidémie ou d’épizootie, des médecins, ou à défaut des commissaires ou des militaires, sont mandatés pour effectuer une enquête préalable à la mise en place de mesures.

A partir de 1814, les Conseils provinciaux de santé doivent veiller encore plus étroitement à la qualité des produits alimentaires commercialisés.

La “peste de Marseille” constitue la dernière occurrence épidémique de la maladie en Europe occidentale.

A suivre avec une prochaine chronique consacrée à “La Savoie face au choléra”

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Anne-Sophie Nardelli, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’USMB

Emilie-Anne Pépy, maîtresse de conférences en histoire moderne

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 «PETROLE : LA BAISSE DES COUTS POURRAIT DESSERVIR LA TRANSITION ENERGETIQUE»

Aujourd’hui, Mareva Sabatier, directrice de l’IREGE (Institut de recherche en gestion et en économie), professeur des Universités en sciences économiques IAE Savoie Mont Blanc – USMB, revient sur l’effondrement des cours du pétrole et sur ses possibles conséquences.

 

Resituons tout d’abord le contexte : pourquoi les cours du pétrole se sont-ils brutalement effondrés le 21 avril ?

 Il y a deux raisons à cela. La pandémie a d’une part entraîné une forte chute de la demande d’abord en Chine, premier importateur mondial, puis dans un second temps dans le reste du monde avec la diffusion du Covid-19.  Entre février et avril, la baisse a atteint moins 30 %, c’est du jamais vu !

L’offre était d’autre part au plus haut en raison d’une guerre des prix entre les pays de l’Opep/Russie et les Etats-Unis. Les premiers ont ouvert les vannes avant la pandémie pour inonder le marché. Ils voulaient faire chuter les cours et mettre en difficulté leur concurrent américain. Il faut savoir que depuis 2018, les USA sont les premiers exportateurs de pétrole. Ils exportent principalement du pétrole dit non conventionnel plus coûteux à la production car plus complexe à extraire et à raffiner que le pétrole dit conventionnel, produit par les pays de l’Opep, notamment.

Mais pourquoi des prix négatifs ?

Le 21 avril, les contrats à terme, pour livraison du pétrole en mai et conclus à un moment où le baril était plus haut, sont arrivés à échéance.  En l’absence de demande vu que l’économie mondiale est à l’arrêt, les acheteurs ont préféré décliner ces commandes et payer une prime de non-respect des contrats plutôt que de réceptionner leur matière première. Les capacités de stockage étant saturées, les prix se sont écroulés. Le baril est passé de 24 dollars à 2 dollars puis à… moins 37 dollars le 21 avril!

Fin avril, les pays de l’Opep et la Russie se sont enfin entendus pour restreindre leur production sans que cela soit, pour l’instant, suivi des faits mais la tendance devrait rester baissière tant que l’activité économique est réduite.

En temps normal, ce serait plutôt une bonne nouvelle pour les pays consommateurs de pétrole… Mais quelles sont les conséquences dans le contexte actuel ?
Dans les pays consommateurs de pétrole, la baisse est effectivement perçue comme une bonne nouvelle en temps normal. Une réduction du prix du baril, qui se répercute sur l’activité des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages, est plutôt favorable à la croissance : à titre d’exemple, on estime qu’une baisse de 10 dollars du baril entraîne une croissance de 0,2% et 0,4% du PIB sur un an.

Mais pour l’instant, on ne consomme pas, les usines produisent moins et on n’a pas besoin de chauffage donc personne n’en profite réellement.

A moyen terme, cette baisse des coûts pourrait surtout desservir la transition énergétique, le pétrole devenant encore plus avantageux que les énergies renouvelables. Or en période économique difficile, tout ce qui permet de faire des économies risque d’être bon à prendre.

On peut également s’attendre à une baisse de la capitalisation boursière de grands groupes comme Total qui vont eux aussi moins investir.

Et pour les pays producteurs ?

Une autre conséquence de cette crise peut être géopolitique. Les pays producteurs vont être fragilisés.

Les Etats-Unis risquent de faire face à une vague de faillites dans les industries pétrolières et parapétrolières ce qui signifie moins de croissance donc moins de consommation. Or les USA sont un vecteur important de la consommation mondiale.

Les autres Etats pétroliers ont, quant à eux, une économie souvent très fortement dépendante du pétrole, qui représente par exemple 95% des exportations du Venezuela ou 70 % de la Russie. Ils vont devoir affronter d’importantes difficultés d’ordre économique qui vont accroître les inégalités voire entraîner des troubles géopolitiques déstabilisateurs pour l’économie mondiale.

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Mareva Sabatier, professeur des Universités en sciences économiques à l’IAE Savoie Mont Blanc – USMB. Directrice de l’IREGE (Institut de recherche en gestion et en économie)

 

 

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 « NOUS DEVONS développer UNE CULTURE DE LA CRISE »

Aujourd’hui, Thomas Meszaros, maître de conférences en science politique, qui estime que « nous aurions sans doute pu anticiper certains aspects de la crise sanitaire que nous connaissons » et qui plaide en faveur d’une meilleure connaissance, en amont, de ces phénomènes de turbulence qui menacent nos organisations.

Vous travaillez en sciences politiques sur les situations de crise et vous observez l’incapacité fréquente que les décideurs ont à les anticiper. Mais aurions-nous pu prévenir un cataclysme tel que celui que nous traversons ?

Une crise est avant tout une temporalité durant laquelle une succession d’événements, inattendus, combinés de manière aléatoire, vient mettre à l’épreuve un système. Elle implique la prise de décisions pour que le système revienne à l’équilibre. La crise, par définition, échappe à nos outils d’analyse traditionnels et à nos cadres de pensée parce qu’elle génère beaucoup d’incertitudes, ce qui rend difficiles les calculs comme les pronostics et balaie les procédures préétablies.

Malgré ce constat, il est quand même possible de les anticiper. C’est ce que l’on nomme la gestion des risques et la prévention des crises. Ces activités ont pour objectif d’empêcher qu’une crise survienne (si cela est possible) ou de permettre aux unités de décision d’y entrer du mieux possible. Cela signifie avoir les informations nécessaires pour identifier la situation à laquelle on est confronté, être bien préparé, avoir les bons réflexes et des outils de gestion de crise adaptés.

Même pour une crise telle que celle du Covid-19 ?

Concernant la crise actuelle, nous n’aurions sans doute pas pu éviter la pandémie venue de Chine pour des raisons liées à la nature du système mondial et aux flux  transnationaux qui caractérisent aujourd’hui les relations internationales.

Cependant, nous aurions sans doute pu anticiper certains aspects de la crise sanitaire que nous connaissons. Le risque d’une pandémie mondiale n’est pas nouveau. Nous avons de multiples précédents historiques (peste d’Athènes au 4e siècle avant notre ère, peste Antonine au 2e siècle avant notre ère, la peste noire au 14e siècle, le choléra au 19e siècle, la grippe espagnole en 1918, la grippe asiatique en 1956, et, plus récemment HIV depuis 1981, SRAS CoV-1 en 2002-2003, H1N1 en 2009, MERS-Cov en 2012, Ébola en 2014, Zika en 2015, etc.). Nous aurions pu être plus vigilants et anticiper certains investissements pour palier à des vulnérabilités qui étaient déjà identifiées. Les investissements, réalisés en amont pour pallier les vulnérabilités des organisations, sont décisifs le moment de la crise venu.

Dans le cadre de l’Institut d’étude des crises, de l’intelligence économique et stratégique et du parcours Intelligence stratégique et gestion de crises (Lyon 3) que vous présidez, vous travaillez justement depuis deux ans sur la prévention et la gestion de ces événements. Quel constat dressez-vous ?

Nous avons créé cet Institut parce que nous avions identifié une attente très forte de la part des chercheurs, issus de différentes disciplines, et des professionnels. Nous avons rapidement fait le lien entre crise et intelligence, car en situation de crise — et nous le constatons tous les jours — l’information joue un rôle capital. Décider dans l’incertitude suppose, pour les décideurs, d’avoir les informations adéquates pour se faire un jugement sur la situation et ses issues possibles. À partir du réseau que nous avons constitué, nous avons travaillé depuis plus de deux ans maintenant sur des sujets très variés comme le cyber, l’intelligence artificielle, le terrorisme, le nucléaire civil et militaire, les mobilités, etc. À chaque fois nous interrogeons objectivement les vulnérabilités relatives à certains secteurs, les dispositifs existants, leur pertinence, etc. Les professionnels, issus du monde privé comme du public, sont parties prenantes de cette démarche, car ils voient que nous sommes dans une posture scientifique, dans une logique d’échanges, que nous souhaitons alimenter utilement leurs réflexions et contribuer à améliorer les pratiques et dispositifs de leurs organisations. Par ailleurs, au travers de notre action notre objectif est de développer une culture de la crise en France et en Europe, car certaines nécessitent une prise en charge plus large, à l’échelle européenne.

Quelles leçons pourrions-nous en tirer pour faciliter la sortie de crise actuelle ?

À ce stade de la crise, il est sans doute encore trop tôt pour faire des recommandations. L’habitude est de faire des retours d’expérience (retex) en situation post-crise. Ma première recommandation serait de faire une sorte de retex  “confinement”  pour avoir une vue précise sur la manière dont cette situation a été vécue par tous les acteurs. Je vois là un double intérêt : d’une part, libérer la parole, ce qui n’est pas inutile à la suite du confinement qui a été vécu parfois comme un traumatisme, d’autre part, récolter des informations précieuses dont il faut tirer des leçons dans le cas où il faudrait “reconfiner” ou pour les crises à venir.

La seconde serait d’élargir le champ de la coopération européenne et internationale pour empêcher une reprise de la pandémie. L’Union européenne doit avoir une utilité face à des situations comme celle que nous connaissons aujourd’hui. Elle doit être un outil de gestion de crise. La pandémie, et les crises sanitaires qu’elle a provoquées, impliquent malheureusement de penser ce que je nommerai “l’imbrication des crises”. Les crises majeures ont cela de particulier qu’elles en génèrent d’autres de natures différentes. Ainsi, il semble aujourd’hui évident que la succession d’événements qui se déroule actuellement va ouvrir d’autres temporalités crisogènes, elles seront économiques financières, sociales, voire politiques. Il ne faut pas voir uniquement la crise actuelle, mais penser la crise et l’après-crise avec, comme perspective, celles à venir et les outils, coopérations inédites, solidarités nouvelles à mobiliser pour y répondre.

Il n’existe toutefois à ce jour aucune structure complète de recherche et de formation sur le marché pour anticiper les futures crises, produire des dispositifs innovants de prévention, de gestion, d’intelligence économique et stratégique et préparer de futurs professionnels à décider et agir dans l’incertitude. Cette situation pourrait-elle évoluer ?

La crise actuelle et ses perspectives indiquent clairement que cette situation doit évoluer. Nous devons apprendre à connaître mieux ces phénomènes de turbulence, d’instabilité qui menacent nos organisations. Cela doit se traduire par le développement et l’approfondissement d’une connaissance scientifique, interdisciplinaire, sur les aléas, les risques et des crises. Cette connaissance permettra de former les futurs décideurs, politiques et économiques, à mieux gérer ces situations. Elle les aidera également à réfléchir sur les vulnérabilités et les fragilités des organisations qu’ils dirigent et sur la nécessité de travailler en amont pour leur permettre une meilleure adaptabilité et finalement une meilleure résilience. C’est l’ambition que nous portons aujourd’hui avec le projet de chaire d’excellence sur les RIsques, la Sécurité, l’Intelligence Stratégique et les Crises — AUvergne Rhône-Alpes — CRISISC-AURA que nous espérons voir aboutir très prochainement.

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Thomas Meszaros est  maître de conférences en science politique, responsable du parcours Intelligence stratégique et gestion de crise (ISGC) à l’Université Lyon 3, il est également co-responsable, aux côtés de Claire Salmon, de la licence ESPRI de l’IAE à l’USMB.

 

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Management et télétravail : « Il faut laisser plus de place à la confiance »

Aujourd’hui, Tarik Chakor, maître de conférences en sciences de gestion (Institut de recherche en gestion et en économie -IREGE-, Université Savoie Mont Blanc) évoque les ajustements à envisager trois semaines après l’instauration d’un télétravail subi et improvisé.

Confinement oblige, voici trois semaines que le télétravail a été mis en place de manière forcée dans les entreprises, sans volonté express des salariés et/ou de l’encadrement, ni réelle préparation en amont. Y a-t-il aujourd’hui des ajustements à envisager ?

Nous sommes effectivement depuis le 17 mars dans un télétravail subi et improvisé. Aujourd’hui, des ajustements formels et informels peuvent effectivement être envisagés, sachant que cette situation devrait encore durer quelques semaines. Nous sommes sortis de l’urgence initiale. Les télétravailleurs manageurs comme managés ont appris à mieux manier les outils de travail à distance et ainsi levé leur peur de l’inconnu en la matière.

Même si ce télétravail garde aussi un caractère particulier en raison de la présence d’enfants dans le foyer, il convient d’affiner ses routines organisationnelles, de bien faire “comme si” on allait au bureau, de se lever à heures précises, de se préparer, de définir ses plages horaires de travail, de disponibilité pour les réunions et ses temps de pauses (notamment une vraie coupure à l’heure du déjeuner). Il est important aussi d’arriver à s’isoler en expliquant à son entourage “on ne me dérange pas quand la porte est fermée” si on a pu se créer un bureau à part ou, le cas échéant, “quand j’ai les écouteurs sur les oreilles” par exemple. Le tout aussi pour éviter d’éviter le blurring, c’est-à-dire de se trouver face à une frontière de plus en plus floue et perméable entre sphères professionnelle et privée, source de conflits familiaux potentiels. Parfois, on est son pire manager…

Au niveau encadrement aussi, le bouleversement est important et non anticipé. Comment bien manager une équipe dispersée ?

Le management classique repose sur le contrôle physique, la présence : on a des équipes sous sa responsabilité. Aujourd’hui, il faut en faire le deuil, laisser plus de place à la confiance et délaisser la vision du salarié “tire-au-flanc”. Le manager doit fixer les objectifs, se mettre d’accord avec son collaborateur sur le résultat final attendu mais il doit lui laisser le pouvoir quant à la manière d’atteindre le but. Les questions de la confiance et de l’autonomie prennent ici le pas sur le contrôle managérial classique.

Compte-tenu de tous ces changements d’envergure, est-il envisageable, demain, de retourner comme avant au travail ?

Il y aura un avant et un après c’est certain. Bien sûr, cette capacité de résilience va dépendre des secteurs et des profils mais la culture du présentiel va en prendre un coup.  Un salarié peut être performant sans être forcément présent dans l’entreprise. On voyait s’amorcer ce mouvement avec l’explosion des espaces de coworking, les travailleurs nomades… et il va s’accélérer. Cette crise va rebattre les cartes sur nos manières de travailler et c’est un vrai point positif. Demain nous allons forcément être dans de l’hybridation, un mix entre travail posté, télétravail, coworking… Il y aura un impact au niveau de l’organisation du travail, de la répartition des tâches, peut-être aussi sur l’application du droit à la déconnexion, spécificité française encore trop peu développée dans les organisations.

A plus long terme, je pense qu’on va tendre vers l’avènement d’organisations ultra-flexibles, organisées par projets, avec une majorité de travailleurs indépendants et la mise en place d’un revenu universel… On sera tous notre propre patron ! Même si ce n’est pas demain la veille… Les usages vont changer, tout ce qui pourra être standardisé le sera, peut-être via des avatars et la plus-value se fera sur l’expertise et l’apport de connaissances spécifiques.

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Tarik Chakor maître de conférences en sciences de gestion (Institut de recherche en gestion et en économie IREGE, Université Savoie Mont Blanc)

 

DEs chroniques pour aller plus loin

Durant cette période de crise nos propos de chercheurs “soigner des maux avec des mots” ont tenté d’apporter un éclairage sur une situation donnée.

Il est maintenant temps de nous tourner vers notre avenir pour tenter de le rendre meilleur et plus sûr ! 

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Les verrous scientifiques, technologiques et socio-économiques de la transition écologique sont des domaines de recherche actifs des laboratoires de l’université Savoie Mont-Blanc (USMB) et de la Fondation USMB, notamment à travers des projets cadres comme la Chaire CITEE, impliquant plusieurs laboratoires et partenaires régionaux.

Tenant compte du contexte actuel de crise sanitaire, la question se pose : quels liens peut-on tisser entre les enjeux de la transition énergétique des villes et la santé ?

La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”, définit l’OMS dans sa constitution. Confort et santé sont donc inextricablement liées : la vulnérabilité et la prédisposition d’une personne à la maladie par exemple dépend en grande partie de son bien ou son mal être. La qualité, de notre habitat et de notre environnement urbain sont ainsi des facteurs essentiels pour la santé ; la vulnérabilité par rapport aux risques variant selon l’endroit et la façon dont nous vivons.          

Urbanisme et santé : les défis de la croissance 

Le monde est façonné aujourd’hui par plusieurs contraintes et notamment les dérèglements climatiques, les transformations socio-économiques et une forte tendance à l’urbanisation. Sur ce dernier point, une hausse de la population urbaine de l’ordre de 300 % est attendue en 2030 relatif au début du siècle,  soit deux tiers de la population mondiale qui vivra dans les villes d’ici 2050.

Dans ce contexte, les évènements climatiques exercent une pression, surtout sur les villes, en termes de la production et consommation d’énergie mais aussi les pousse à développer des stratégies de résilience. Partout dans le monde, la conception, rénovation et réaménagement des villes en tant que lieux de vie sains et agréables deviennent un défi majeur pour le 21e siècle. La situation de pandémie actuelle ne fait qu’exacerber cet enjeu : on constate que certaines villes et régions restent pour le moment relativement épargnées tandis que d’autres sont gravement touchées. A ce stade précoce d’analyse de cause et effet, on peut au moins constater que les grandes villes, caractérisées par de forte densité de population, semblent particulièrement concernées. Il en découle la question de la vulnérabilité du monde urbain face à une augmentation de la fréquence et de la gravité des pandémies. Bien qu’il soit trop tôt pour établir avec certitude les critères qui ont permis à certaines régions de limiter la propagation du virus, on peut explorer les leçons retenues à la suite des épisodes de santé récentes. En plus, si la pandémie actuelle a débuté en hiver, on peut également considérer la résilience pour d’autres saisons.

Urbanisme et santé : les dangers

1) Canicule : des corrélations entre qualité de vie et les nombres de cas

Les épisodes de chaleur extrême ont un impact non seulement sur la mortalité mais aussi sur la morbidité. La canicule européenne de 2003 a révélé le risque sanitaire dû à une température ambiante élevée se maintenant sur plusieurs jours. Cet évènement s’est trouvé amplifié par les effets combinés de la chaleur, du rayonnement solaire sur la pollution (génération d’ozone notamment). A Paris par exemple, le taux de mortalité a augmenté de 130 % pendant l’épisode, ce qui a incité les collectivités locales et autorités sanitaires à étudier les risques et les causes responsables de la répartition de ces impacts.  

Des épisodes de canicules sont aussi accompagnés par des pics d’hospitalisations pour les maladies respiratoires et cardiovasculaires.

Concernant la sensibilité de la population aux maladies, il est important de considérer les corrélations entre qualité de vie et les nombres de cas. En France en 2003, les logements situés aux derniers étages d’immeuble sous la toiture ont été identifiés comme facteurs de risque aggravant, ainsi que, de façon générale, des bâtiments de mauvaise qualité thermique. Ce constat sert à renforcer la volonté de mener des études sur le confort au sein des immeubles mais aussi au niveau des villes elles-mêmes pour lesquelles il est nécessaire de trouver de solution permettant de mitiger les effets d’îlots de chaleur.

2) Ilot de chaleur : une conséquence directe sur la santé

Quelques mots d’abord sur le microclimat urbain. Les villes ont tendance à atteindre des températures plus élevées que les zones rurales. Ce phénomène, connu collectivement comme l’effet d’îlot de chaleur urbain, a été largement documenté et il est le résultat de plusieurs caractéristiques du milieu bâti:  L’absorptance de rayonnement solaire par les surfaces, les sources locales de chaleur (les bâtiments, l’activité humaine, les transports, etc), la masse thermique, les phénomènes de circulation d’air dans les quartiers qui emmagasine la chaleur pendant la journée et la dissipe pendant la nuit.  Par conséquence, l’amplitude de l’effet d’îlot de chaleur est souvent le plus prononcé le soir.

 Une conséquence du phénomène peut être une consommation d’énergie en hausse pour les villes où les conditions nécessitent la climatisation pour assurer le confort intérieur des bâtiments. Dans un tel scénario, l’effet devient un cercle vicieux avec la chaleur extraite des pièces climatisées (plus l’énergie consommé par les équipements) dissipée à l’extérieur .

Le couplage de l’effet d’ilot de chaleur et du réchauffement climatique suggère que les villes seront affectées plus sévèrement par les épisodes de chaleur extrême, avec une conséquence directe pour la santé. En plus, selon les modèles climatiques le nombre de jours de canicule aura doublé d’ici 2040, d’environs 20 par an à présent. La même tendance est attendue au niveau mondial, par exemple en Afrique le nombre de jours de canicule devrait dépasser 80 par an à cette même échéance.

3) Le bâti et son environnement : l’exemple de Honk Kong

D’autres paramètres contribuant à la vulnérabilité d’une population comprennent la situation socioéconomique, la qualité des logements et des caractéristiques de l’environnement bâti telles que la perméabilité du terrain. L’échelle du bâtiment est importante autant que celle du quartier pour une évaluation de qualité environnementale : à la suite de l’épidémie de SRAS en 2003 à Hong Kong, des études ont été menées pour expliquer la concentration de cas du virus dans certains secteurs. Une conclusion importante a été le rôle du confort thermique et la propagation de polluants pour les zones à risques, les deux régis par la circulation d’air. Aujourd’hui Hong Kong a introduit une série de directives afin d’assurer un niveau suffisant de ventilation naturelle pour l’ensemble des quartiers. Il s’agit d’une solution parmi plusieurs propositions. L’introduction d’infrastructure verte dans les villes a été également promue comme un moyen de diminuer l’effet d’ilot de chaleur et ainsi améliorer le confort thermique.

Les enjeux de santé ont, jusqu’à présent, fortement guidé la conception et le renouvellement des villes. En regardant la morphologie des grandes agglomérations comme Londres ou Paris, on retrouve la trace des épidémies du passé et des grandes transitions de société dans les infrastructures d’aujourd’hui. L’urbanisme de demain s’avérera fortement régi par les contraintes et opportunités d’un climat en évolution, un besoin d’adaptation à des évènements météorologiques extrêmes plus fréquents et la nécessité de fournir une énergie propre et sûre, et une résilience contre les risques de maladies pour un monde urbain et interconnecté. La réussite des villes de demain sera évaluée en termes de santé et bien-être de leurs habitants.

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 Léon Gaillard, ingénieur de recherche, Pilote de la Chaire CITEE (Chaire d’Innovations Transfrontalières sur l’Efficacité Energétique).

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Aujourd’hui Motahareh Fathisalout Bollon, enseignante-chercheure à la Faculté de droit, revient sur la règlementation des applications mobiles numériques, avec, en toile de fond StopCovid.

Covid-19 : application mobiles & protection de la vie privée

La période de confinement avait été propice au téléchargement d’applications en tous genres (y compris pour se déplacer). Plus récemment StopCovid, l’application qui s’inscrit dans le plan global de déconfinement du Gouvernement, a fait couler pas mal d’encre. Vous qui travaillez sur la règlementation des applications mobiles numériques, quels sont les risques ? 

Il faut d’abord souligner le contexte de l’apparition de cette application. Alors que la pandémie de Covid-19 faisait rage dans le monde entier, la principale mesure d’atténuation a été la distanciation sociale extrême et les mesures de confinement obligatoires, appuyées par des Ordonnances, dans de nombreux pays. Pris entre l’effondrement économique et la catastrophe sociale, de nombreux gouvernements ont adopté des décrets d’urgence et multiplié les mesures qui peuvent porter atteinte aux libertés civiles et aux droits fondamentaux.

Pour limiter la propagation, un prolongement de la durée des mesures de distanciation sociale extrême semblait nécessaire, sauf à mobiliser la technologie pour cibler les personnes atteintes et appliquer une mise en quarantaine ciblée. C’est ainsi qu’un consensus s’est formé autour d’une stratégie combinant les ressources médicales et les outils technologiques pour fournir une réponse à une échelle susceptible de prendre en vitesse la propagation du virus. Certains pays ont progressivement mis en place des applications mobiles (p. ex. : NHS Covid-19 au Royaume-Uni, CovidRadar au Mexique, CovidSafe en Australie, Mask.ir en Iran, etc. [1]), qui sont plus ou moins intrusives et dont le fonctionnement nécessite la collecte, en temps réel, de données, à caractère personnel, voire sensible. Ainsi, le système chinois, appelé « Chinese health code system », récolte des données telles que l’identité des citoyens, leur localisation et même l’historique des paiements en ligne, afin que la police locale puisse surveiller ceux qui enfreignent les règles de quarantaine. En fonction de la technologie employée (p. ex. : Bluetooth, GPS, API, DP-3T), les applications peuvent être plus ou moins intrusives. Les interrogations se sont multipliées : quelles sont les données collectées et avec qui seront-elles partagées ? Comment ces informations seront-elles utilisées à l’avenir ? Quelles mesures ont été mises en place pour prévenir les abus ?

Sur quoi doit porter la vigilance des utilisateurs ? 

S’agissant de l’application StopCovid, mise en place par le gouvernement français, une réponse peut être apportée au regard de la technologie utilisée par l’application. StopCovid mobilise la technologie Bluetooth. Elle enregistre de façon cryptée, dans l’historique de l’application, les informations relatives à ses utilisateurs, qui se croisent dans un périmètre de moins d’un mètre et pendant 15 minutes. Ce dispositif, qui repose sur le volontariat, n’est pas l’élément central de la stratégie française de lutte contre l’épidémie de Covid-19. La technologie Bluetooth, utilisée par StopCovid semble constituer la meilleure option pour une mise en œuvre stricte de la protection de la vie privée, dans la mesure où seuls les signaux communiqués entre les smartphones sont stockés sous forme de données cryptées. Ce dispositif met les données des utilisateurs à l’abri des tiers intéressés par ces données.

Ainsi, par l’application StopCovid, les autorités françaises tendent à trouver un équilibre entre la nécessaire lutte contre cette épidémie (qui relève de l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé) et les atteintes au droit à la protection de la vie privée, notamment par la collecte et le traitement de données à caractère personnel, d’une particulière sensibilité à l’échelle nationale.

Est-ce que la période est propice à faire bouger les choses en matière de règlementation ?

Sur ce point, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), qui veille au respect de la conformité des traitements de données personnelles au RGPD et à la loi “Informatique et Libertés”, a considéré que l’atteinte portée aux droits et libertés individuels a été justifiée par un motif d’intérêt général (ici, lutte contre l’épidémie). Elle a précisé que cette atteinte est également nécessaire et proportionnée à la réalisation de cet objectif. La validation du dispositif par cette autorité rend crédible l’action du gouvernement et offre un avis, que nous espérons aussi neutre que possible, sur les risques encourus par les utilisateurs. C’est cette connaissance des risques, établie par une autorité telle que la CNIL, qui permet d’apporter une réponse à ceux qui ont peur de ce type d’application ; la peur de diffusion d’informations relatives à l’état de santé et de l’historique de déplacement… ; diffusion qui pourrait donner lieu à des stigmatisations, du harcèlement ou des boycotts (pour les entreprises notamment).

Le succès du dispositif dépend de la garantie offerte aux utilisateurs. L’objectif est de lui assurer un contrôle total sur l’utilisation des données et la divulgation des informations. Il dépend aussi de la nécessité d’un choix d’utilisation éclairé de la part des citoyens, ce qui suppose une compréhension réaliste des risques de l’utilisation de l’application.

Y aura-t-il un avant et un après Covid en la matière ?

Si l’engagement des citoyens est essentiel à la réussite du dispositif, il convient de rappeler qu’aucune solution technique ne peut garantir de manière absolue le respect de la vie privée. Par exemple, d’autres applications installées sur un smartphone peuvent interférer avec StopCovid et envoyer des données à un tiers. Ce type de risque existe de façon générale, dès lors que les données collectées par les applications disponibles sur le smartphone et/ou les appareils connectés (montre, bracelet, etc.) sont mises à disposition de tiers intéressés, avec un semblant d’assentiment de l’utilisateur (qui clique quasi mécaniquement, sur « j’ai compris » ou « j’accepte » ces conditions générales d’utilisation ou de service). Le plus important, en la matière, est d’utiliser la technologie de façon consciente.

[1] Pour un aperçu des applications par pays, voyez : P. Howell O’Neill, T. Ryan-Mosley, B. Johnson, “Covid Tracking Tracker”, MIT Technology Review, publié le 7 mai 2020 et disponible en ligne gratuitement à l’adresse suivante : https://www.technologyreview.com/2020/05/07/1000961/launching-mittr-covid-tracing-tracker/?truid=86e73017824ada51f2218ec0bd28885a&utm_source=engagement_email&utm_medium=email&utm_campaign=site_visitor.unpaid.engagement&utm_content=05.12.non-subs

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Motahareh Fathisalout Bollon, enseignante-chercheure à la Faculté de droit

 

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Aujourd’hui, Dominique Kreziak, maîtresse de conférences en sciences de gestion à l’Institut de recherche en gestion et économie IREGE/Université Savoie Mont Blanc et spécialiste du comportement des consommateurs, évoque l’impact de la situation actuelle sur notre manière de vivre nos vacances 2020.

Tourisme : « La crise est un laboratoire à ciel ouvert »

 

L’été est là et avec lui, le retour des vacances. La crise que nous traversons va-t-elle impacter notre manière de vivre cette période ?

La crise nous oblige à repenser ce que l’on met habituellement derrière le mot vacances à savoir sortir de sa routine, découvrir une nouvelle destination, s’évader… Pour ceux qui ont effectivement l’habitude de partir – rappelons que c’est seulement le cas d’un tiers des Français -, les repères sont faussés.  Il y a d’abord l’effet de la contrainte. Dans un premier temps, on ne pouvait pas s’éloigner à plus de 100km, puis on devait seulement séjourner en France puis progressivement ailleurs en Europe mais pas partout… La situation actuelle n’est donc pas choisie, du coup, on a tendance à la vivre en mode dégradé. Elle nous oblige toutefois à nous demander “De quoi ai-je besoin pour mes vacances ?” et à réinventer un modèle.

Côté destinations par ailleurs, le touriste qui fait rêver, c’est le touriste étranger. La clientèle de proximité n’est pas forcément stratégique, ni la priorité en temps normal. Que va-t-on faire sans les touristes étrangers ? C’est compliqué et angoissant aussi en termes de chiffre d’affaires.

En fait, ce qui est intéressant avec la crise, c’est d’être obligé d’expérimenter un tourisme de proximité des deux côtés, de se (re)poser les questions de l’attractivité, de ce qui fait sens…  La crise, c’est un laboratoire à ciel ouvert ! L’ailleurs peut être tout près et la crise une bonne parenthèse pour expérimenter de nouvelles choses.

 

Expérimenter des choses nouvelles… comme les micro-aventures qui ont le vent en poupe cet été ? 

La micro-aventure est en vogue en ce moment. C’est vraiment l’occasion de la tester pour de vrai, avec l’idée qu’il n’y a pas forcément besoin d’aller loin, ni d’avoir une énorme compétence d’aventurier pour vivre des moments exceptionnels, avec relativement peu de moyens, de mettre de l’extra dans l’ordinaire. C’est par exemple remplacer de temps en temps une soirée banale par un moment chouette autour d’un feu de camp, d’une balade, d’un bivouac… Le fait d’intercaler ces instants à effets régénérants dans sa vie “normale” n’est pas nouveau, on a simplement formalisé la pratique par un terme.

Mais la crise nous a permis d’expérimenter la porosité entre temps de travail, temps privé, temps de loisirs. On a pris davantage conscience, avec la montée en puissance du télétravail, que l’on pouvait travailler de loin, dans un tiers lieu qui peut également être situé dans un bel endroit.

Tout cela oblige à imaginer d’autres formes hybrides de “vacances” intégrant toujours les motivations clés, les trois R pour rupture, ressourcement, retrouvailles. Ces parenthèses ne remplacent pas le fait de partir mais s’intercalent dans les interstices de l’emploi du temps. Il peut y avoir une carte à jouer sur ces marchés de niche en créant du “bien-être” de proximité. Cela peut donner des idées aux destinations, aux hébergeurs… La diversification, cela peut être ça aussi et ça vaut le coup de les explorer.

 

Quid du voyage ? Est-ce la fin des destinations lointaines ?

Même si on a des approches de plus en plus développement durable dans le tourisme, renoncer complètement à l’avion semble difficile. Mais on peut choisir de partir moins souvent et mieux, de faire un grand voyage tous les trois ans par exemple, sur une durée plus longue et d’opter entretemps pour d’autres voyages signifiants mais qui ne nécessitent pas de prendre l’avion. Il faut devenir un voyageur plutôt qu’un touriste.

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Dominique Kreziak, maîtresse de conférences en sciences de gestion à l’Institut de recherche en gestion et économie IREGE/Université Savoie Mont Blanc

 

 

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