Tourisme et sobriété : les pouvoirs de l’itinérance

La frugalité dans l’itinérance touristique a-t-elle un impact sur le comportement de la clientèle à son retour, en particulier dans le domaine environnemental ? C’est cette question qu’a choisi d’étudier Ilse de Klijn dans la thèse qu’elle soutiendra le 21 décembre à Annecy.

Qu’est-ce qui vous a amené à étudier la question de la frugalité dans l’expérience touristique ?

Après un master tourisme en 2015 à l’Université Savoie Mont Blanc, j’ai travaillé cinq ans en office de tourisme sur le territoire, mais il me manquait une dimension terrain, en lien avec la transition. J’ai décidé de reprendre mes études et de réaliser une thèse sur la transformation individuelle et l’adoption de comportements pro environnementaux par les clientèles dans le cadre de l’itinérance pédestre.

 

Ilse de Klijn

Doctorante en sciences de gestion. Laboratoire IREGE, Institut de Recherche en Gestion et en Économie-Université Savoie Mont Blanc.

J’ai effectué ces travaux dans le cadre d’une Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche), un dispositif national qui souhaite notamment renforcer les échanges entre laboratoires de recherche publique et milieux socio-économiques. Cela m’a permis d’intégrer, à mi-temps, le bureau d’ingénierie touristique Atémia, basé à Challes-les- Eaux en Savoie.

Comment avez-vous procédé ?

J’ai choisi d’explorer la piste de l’itinérance pédestre pour voir si le fait de vivre de façon frugale pendant plus ou moins longtemps avait un impact sur les comportements des marcheurs à leur retour dans leur quotidien.

Je suis ainsi partie dix jours en juillet 2021 sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, entre le Puy-en-Velay et Conques, seule avec mon sac à dos. J’ai réalisé une partie du parcours en autonomie complète et une partie en hébergement pour mixer les rencontres. En cours de route, j’ai échangé avec 19 marcheurs, de 18 ans à 73 ans, sur leurs motivations, leurs habitudes… Je les ai ensuite rappelés deux semaines après leur retour pour savoir si leur séjour avait ou non impacté leur vie quotidienne, puis six mois plus tard.

Qu’avez-vous constaté ?

Que changements il y a bel et bien quelle que soit la durée de leur itinérance. Ils sont d’ordre psychologique (gain de confiance en soi et d’estime de soi), comportemental (davantage de pratique sportive, de méditation), relationnel (plus grande capacité à s’ouvrir aux autres…), spirituel, mais aussi environnemental. Les personnes interrogées privilégient ainsi, à leur retour, une consommation bio ou locale, se déplacent plus fréquemment à pied, mangent moins de viande, sont davantage détachées du matériel… Quasiment toutes reconnaissent qu’il y a un avant et un après. Six mois plus tard, environ 70 % des comportements pro environnementaux sont maintenus. Ces derniers existaient chez certains, mais ils avaient été relativement abandonnés et l’expérience touristique les a ravivés.

Je ne pensais pas que la sobriété aurait un impact aussi important ! Il y a un réel décalage entre l’abondance dans son quotidien habituel et la sobriété de ce même quotidien sur l’itinérance. L’expérience d’itinérance génère un grand pouvoir de déconnexion, qui favorise la capacité de changer.

Quelles conclusions en avez-vous tirées ? Le tourisme peut-il contribuer à la sobriété ?

Responsable de 11 % des émissions de gaz à effet de serre pour environ 8 % du PIB (Produit intérieur brut) en France, le tourisme est générateur de davantage de nuisances environnementales que de ressources économiques. Or il peut contribuer à la sobriété. Il peut être en effet un vrai levier de changement des comportements avec une pratique frugale transposable dans le quotidien. Tout un chacun va continuer à partir, mais l’offre proposée peut privilégier par exemple des activités plus sobres, porteuses de sens, pour expérimenter une pratique durable, avec des actions à même ensuite d’intégrer le quotidien. Les collectivités et les acteurs socio-économiques ont un rôle à jouer. Même s’il n’est pas le seul, la frugalité est un élément déclencheur de changement de comportement.

L’expérience d’itinérance génère un grand pouvoir de déconnexion, qui favorise la capacité de changer.